ZACK KEEMAN

Zack Keeman

ZACK KEEMAN

« Les pierres font partie du chemin ». Cette maxime du philosophe chinois Lao Tseu illustre à lui tout seul le parcours musical de Zack Keeman, tant il fut semé d’embûches.

Quand il vient au monde, le 19 juin 1968 à Dakar, au Sénégal, dans une famille de classe moyenne, le chemin de Mouhamed Zaccaria Badji, qu’on nommera plus tard  Zack Keeman   semble tout tracé.

Sa mère qui après son divorce l’élève seule avec ses frères entend leur donner la meilleure éducation possible et ne transige pas sur la discipline : « chez nous, l‘école était sanctifiée. Tous petits , nous avions signé une sorte de contrat tacite avec Maman. C’était très simple : avec de bonnes notes nous avions tout, dans le cas contraire, nous n’avions rien» se rappelle Zack .

Ce sont les Frères du Sacré-Cœur, une congrégation religieuse originaire du Canada qui vont se charger de l’éducation de toute la fratrie.

«Je me souviens d’une époque heureuse. Nous étions des centaines de gamins de toutes origines et religions mais cela nous paraissait tout à fait normal. On nous avait appris très tôt que nous étions tous égaux. Nos éducateurs, parmi lesquels le regetté Frère Marcel Landry nous avaient enseigné que le plus important c’était le respect de l’autre. Cela avait fait de nous des frères » Tout se passe donc normalement pour Zack qui, en bon jeune Dakarois partage son temps entre l’école, le foot, et les escapades à la mer toute proche de son quartier Sicap Liberté 6, futur bouillon de la culture urbaine sénégalaise .

« Dans nos quartiers la musique et la danse sont partout et nous avons été influencés par les grands frères du coin qui jouaient de la guitare . Nous leur demandions de nous apprendre mais ils nous disaient qu’on étaient trop jeunes. Nous avons alors décidé de fabriquer nous mêmes nos instruments avec des bidons métalliques et des câbles de freins de vélos pour les guitares et des bidons d’huile vides pour la batterie et les percussions. Çà ne donnait pas un vrai son mais cela nous rendait heureux »

Certains camarades de Zack Keeman deviendront musiciens professionnels allant même jusqu’à être à la base de la naissance du mouvement hip-hop sénégalais.

A 15 ans,l’ambition est toute autre pour Zack puisqu’à cette époque sa passion pour le foot est plus forte au point de rêver d’ une carrière de footballeur.

Pour ses parents les études restent la priorité ce qui pousse Zack à renoncer à son rêve et à poursuivre tranquillement son cursus scolaire.

Mais en 1988, l’image  de démocratie moderne qu’offrait le Sénégal jusqu’alors va être sérieusement écornée par une violente conflagration entre le régime en place et les opposants qui refusent d’entériner la victoire du président sortant qu’ils accusent d’avoir truqué les élections. Les Sénégalais découvrent alors l’instabilité politique avec en point d’orgue la déclaration de l’état d’urgence, avec couvre -feu dès minuit. La violence ambiante n’épargnera pas le système éducatif puisque devant l’intransigeance des élèves et étudiants qui réclament la démission du président en place, les autorités décident d’invalider l’année académique.

«Cette période a été douloureuse pour notre génération puisque nous étions brutalement confrontés à la fin de l’innocence et à l’injustice. Tout le monde savait que rien ne serait plus pareil » raconte Zack.

Mais la situation a quand même du bon puisque devant l’oisiveté imposée par cette année blanche, Zack en profite pour apprendre à jouer de la guitare. « C’était quand même compliqué, il fallait ruser et quand un de mes « grands » daignait me prêter sa guitare, j’étais obligé d’attendre que tout le monde soit couché pour pouvoir « gratter » le plus discrètement possible.

En 1990, Zack obtient un Bac Lettres après une année académique sauvée de justesse. C’est aussi à cette période qu’il fait une rencontre décisive en la personne d’Alioune  Guèye  son professeur de philosophie : « cet homme m’a donné le goût de l’introspection et de l’étude des textes philosophiques. Nous parlions aussi beaucoup d’Histoire et passions des heures à discuter  des œuvres de Nietzsche , Sartre, Césaire ou encore Senghor. A son contact je me suis forgé sans le savoir une conscience politique précoce. Il était mon ami et mon maître. »

Sur les  conseils de son mentor Zack s’inscrit au département de Philosophie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, puis au bout de deux ans, il jette l’éponge : « le cœur n’y était plus. Après pratiquement deux années « blanches » l’envie d’apprendre se heurtait à l’intransigeance  d’un pouvoir revanchard puisque nous avions pris fait et cause pour l’opposition. La chimère de «l’étudiant- roi» s’était subitement dissipée dans les fumées de lacrymogènes. Ceux qui pouvaient partir à l’étranger l’ont fait mais je n’avais pas les moyens » se remémore Zack.

Faute de mieux Zack s’inscrit alors au British Institute de Dakar d’où il sort un an plus tard avec un BEPA (brevet d’études pratiques en anglais).

C’est aussi le moment d’une « rencontre » décisive puisque Zack découvre Bob Marley et le reggae : « un jour où nous étions chez un ami son grand frère a introduit une cassette VHS dans le magnétoscope, c’est là que j’ai vu cet homme au charisme incroyable qui parlait de  liberté et de justice. Son message m’a bouleversé et ce jour-là, je me suis dit un jour, je ferai comme lui ».

Parallèlement à la musique Zack exerce aussi son militantisme dans le journalisme puisque même sans diplôme, il est engagé dans un journal indépendant de Dakar à l’été 1994 : « j’ai adhéré à ce projet car j’avais trouvé dans « Le Politicien » une sorte de continuité du fait que ce journal était à l’époque le seul organe de presse à oser critiquer le régime. Cela nous a d’ailleurs valu de l’ostracisme et nous étions souvent « oubliés » au moment de la distribution de l’aide à la presse . Mais nous avons continué à nous battre avec les moyens du bord. Notre seule gratification résidait dans le fait que le lectorat se reconnaissait en nous et nous encourageait à poursuivre » raconte Zack.

Après un long apprentissage autodidacte, Zack crée avec son ami Adama Lô Faye en 1997 son premier groupe, le Melam. Avec deux  guitares « pourries », les deux amis s’enferment et répètent d’arrache-pied et au final mettent en place un répertoire d’une dizaine de morceaux.

Quelques mois plus tard, le 11 mai 1997, le public dakarois découvre le Melam lors d’un hommage  à Bob Marley  « je m’en souviendrai toute ma vie comme d’un moment très spécial   dit Zack. Le public a tout de suite adhéré à notre musique et à partir de ce jour partie intégrante de la scène  reggae sénégalaise » . Mais le challenge est difficile car dans un Sénégal submergé par la vague hip-hop  se faire une place en jouant du reggae relève de l’impossible. En effet, les producteurs se montrent plus que frileux vis à vis du reggae, et aucun groupe de cette époque ne parvient à décoller vraiment.

 

En 2000 Zack obtient une bourse pour étudier le journalisme et la communication à l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication de Rabat où il restera 5 ans : « j’avais besoin de voir autre chose et ce séjour au Maroc a été plus que bénéfique pour moi, il m’a transformé », se souvient Zack.

Cinq ans plus tard, Keeman retourne au Sénégal, sa licence en journalisme en communication sous le bras, mais sa joie de retrouver son pays natal se mue en déception quelques mois plus tard : « rien n’avait changé malgré l’alternance politique. Côté musique les anciens de Melam étaient allés voir ailleurs pendant mon absence. A cet instant je me suis dit, la musique, c’est fini », se remémore Zack, loin de s’imaginer que la vie peut réserver bien des surprises .

En 2007, après un bref passage au quotidien national du Sénégal, Keeman s’envole pour la France où il s’inscrit à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris, mais l’envie de faire de la musique le taraude et Zack se remet à rêver de remonter sur scène, mais la crainte d’une nouvelle déception le laisse dans l’indécision : « il fallait travailler pour vivre et en dehors du journalisme, il a même fallut être vigile pour joindre les deux bouts. Puis un jour, alors que je m’étais même interdit de rentrer dans une boutique de musique, j’ai acheté une guitare acoustique, je me suis remis à écrire sans me prendre la tête et en me disant que je le faisais pour le plaisir, » se souvient Zack.

En 2009 Zack quitte Paris et s’installe à Saint-Etienne pour des raisons professionnelles et c’est là que le déclic se produit : « je ne sais pas si c’est à cause de la beauté de la nature et la tranquillité de la vie dans la Loire mais en moins d’un an , j’ai écrit une vingtaine de chansons. Mais jusque là je me déniais l’envie de les diffuser, sachant que j’étais seul et sans le sou pour produire un album » raconte Zack.

Mais des gens dans son entourage le persuadent d’aller au bout de son rêve, un moment décisif que Zack raconte avec émotion dans « Got To Move » (« il faut bouger »), un des onze titres qui constituent son album.

Seulement il y a un hic : car si Zack parvient tant bien que mal à réunir la somme nécessaire pour entrer en studio, il n’a pas les moyens de se payer des musiciens. Et là, Keeman prend une option un peu « folle » : « j’ai décidé de jouer tous les instruments, sauf la batterie que j’ai confiée à Michel Turco ».

Le 15 juillet 2013 Zack rentre au Studio Mag de Saint-Etienne et en un temps record, l’album On the Road est enregistré sous la férule de Marco Cottevieille un ingénieur du son qui va imprimer sa patte sur l’album : « tout s’est passé comme dans un rêve et à mon réveil, les onze titres de l’album étaient dans la boîte. J’ai dû me pincer pour croire que le rêve si longtemps caressé s’était réalisé », s’amuse encore Zack.

Pourvu que ce rêve dure …afin que l’utopie humaniste de Zack Keeman se répande et perpétue le message universel de paix et de justice que porte le reggae des origines.

 

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