Tiken Jah Fakoly

 Dans un mode de la musique où seuls comptent la course aux récompenses et les études de marché,  Doumbia Moussa Fakoly, plus connu sous le nom de Tiken Jah Fakoly peut faire figure d’extra-terrestre. En effet, depuis plus de vingt ans, il n’a cessé, avec son reggae pour seule arme et ce au péril de sa vie, de lutter aux côtés de tous les opprimés de la Terre pour que la voix des sans-voix soit entendue des puissants.

Mais l’engagement de ce fils d’un père tour à tour agriculteur, commerçant ou pêcheur date de bien longtemps, quand à vingt ans, il fonde Les Djelys  son premier groupe à Abidjan, en Côte-d’Ivoire où il est né le 23 juin 1968. Tiken Jah devient plus ou moins célèbre quand en 1993, il arrive dans les cinq premiers lors d’un concours musical organisé par un cigarettier, ce qui lui permet de sortir deux albums la même année et en 1994.

Mais il faut attendre 1996 et « Mangercratie »,  son premier album pour que la renommée  de Tiken Jah dépasse les frontières de son pays natal, notamment dans les pays limitrophes  où l’on commence à penser que l’immense Alpha Blondy avait trouvé le successeur tant attendu. Après des concerts réunissant près de 20 000 personnes en Afrique, Tiken s’attaque au marché européen qui le découvre en 1998 à Paris, et voilà notre rastaman parti pour de nombreuses apparitions dans l’Hexagone, notamment quand il assure de main de maître la première partie du célèbre groupe de reggae français Sinsemilla.

Le moment semblait alors tout indiqué pour que Tiken s’attaque à son second opus, et insigne honneur, c’est à Kingston, en Jamaïque, dans le Tuff Gong, le mythique studio de Bob Marley que Tiken  mixe « Cours d’Histoire » en 1999. Cet album, que beaucoup considèrent comme un summum de sa musique, tant il mêle modernité et tradition du reggae, contient des perles comme « Soundjata », le très engagé « Ils Ont Oublié »  ou la poignante ode à l’amour qu’est « Tata » mais qui lui valent les gémonies de la junte militaire au pouvoir en Côte-d’ Ivore.

Tiken est alors obligé de s’exiler au Mali, et ce qu’en 2000 qu’il revient dans son pays natal pour y enregistrer « Le Caméléon », un opus qui traite des troubles politico-miltaires  et s’adresse directement au nouveau président de la Côte-d’Ivoire. Commercialement, Tiken attire de plus en plus l’attention des majors comma Epic ou Barclay puisque Tiken devient de plus en plus « bankable » : « Mangercratie » s’est vendu à 500 000 exemplaires.

En 2002, Tiken renouvelle l’expérience  du Tuff Gong pour l’album « Franceafrique » qui enregistre la participation du légendaire toasteur jamaïcain U-Roy  dans « Justice » ou Anthony-B dans « On A Tout Compris ». La tournée promotionnelle du nouvel album en Europe est un vrai triomphe, mais devant la situation politique en Côte-d’Ivoire où plusieurs de ses proches sont assassinés par les proches du président Gboagbo, Tiken est de nouveau contraint à l’exil à Bamako, au Mali. Une lumière jaillit quand même de l’obscurité puisqu’en 2003, Tiken remporte une Victoire de la Musique pour «Franceafrique », comme un couronnement de son engagement dans la dénonciation le colonialisme, le néo-colonialisme et l’état  de non-droit en Afrique.

Fin 2004, retour en Jamaïque pour l’enregistrement de l’album « Coup De Gueule », plus universel, mais aussi revendicatif, et où on note la présence de Zebda dans « Où Veux-Tu Que J’aille », Didier Awadi dans « Quitte Le Pouvoir » ou Magid Cherif dans « Tonton d’America ». Les années 2005 et 2006 sont dévolues à la scène puisque Tiken assure pas moins d’une centaine de concerts en France tout en intensifiant sa présence sur les gros festivals un peu partout dans le monde.

Tout semble donc aller pour le mieux jusqu’en décembre 2007 quand, lors d’un concert à Dakar, au Sénégal, Tiken demande au président Abdoulate Wade « de quitter le pouvoir s’il aime le Sénégal ». Ces propos ne plaisent guère au maître de céans qui déclare Tiken persona non grata au Sénégal suite à  ses déclarations jugées « discourtoises et insolentes ». Un arrêté d’entrée et de sortie est alors pris par le ministre de l’Intérieur, ce qui pousse Tiken à quitter Dakar quelques heures plus tard.

Nullement désarçonné par ce nouveau coup du sort, Tiken garde le pied à l’étrier et sort « L’Africain » avec des featurings de renom avec Akon entre autres, ne se privant pas d’égratigner le président sénégalais dans « Promesses Bla Bla ». Tiken revient dans les bacs avec « Live à Paris » en 2008 et « African Revolution chez Universal en 2010 et en raison des évènements politiques en Côte- d’Ivoire et en Tunisie, Tiken lance une semaine de solidarité à Paris, appel auquel se joindront des milliers de personnes à travers l’Hexagone.

Preuve que Tiken est passé du grade de musicien à celui d’objecteur de conscience car comme il le dit lui-même, « les peuples qui vivent sous l’oppression sont des humains au même titre que les autres, qu’ils ont les mêmes droits que tout être humain, et qu’ils ont leurs cultures et leurs valeurs ». Car la musique de Tiken Jah Fakly doit être comprise pour ce qu’elle est : le cri de cœur d’une jeunesse africaine à la conscience claire et désireuse de tourner la page de l’endettement et du sous-développement. Zack Badji  

Illustration: aquarelle de Régine Coudol-Fougerouse

 

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