Salif Keïta

 

Pour la majorité des Africains, Salif Keïta est plus qu’un musicien. Il est une sorte d’animal mythique, le génie tutélaire du fleuve Djoliba, la seule veine qui irrigue son Mali natal, ce pays semi désertique de l’Afrique de l’Ouest. Ceux qui l’ont rencontré vous diront qu’ils ont tout de suite été frappés par ce physique si particulier, l’attention qu’il porte à ces interlocuteurs, et surtout par cet indéfinissable regard qui semble vous fouiller de fond en comble.

Mais c’est surtout son parcours qui fascine tant il semble tout droit tiré d’un conte des frères Grimm. Lorsqu’en 1949, Salif Keïta vient au monde à Djoliba, un petit village de l’ethnie mandingue situé au bord du fleuve, c’est la stupeur dans sa famille car il est albinos. Dans cette Afrique  coloniale, encore  en butte à des croyances de toutes sortes et où les albinos sont souvent assassinés à la naissance  en raison des pouvoirs maléfiques qui leur sont attribués, sa venue au monde est un vrai drame. Mais sa famille fait contre mauvaise fortune bon cœur et décide de se battre pour Salif, qui, malgré les quolibets de toutes sortes, connaît une enfance plus ou moins normale.

Il se révèle même un élève brillant qui truste les premières places et projette de devenir instituteur à la fin de ses études. Mais  le rêve tombe à l’eau car Salif  est recalé au concours d’entrée à l’Ecole des Instituteurs  à cause de sa mauvaise vue. Il décide alors de devenir chanteur, mais c’est de nouveau le scandale dans sa famille car en Afrique, la musique est réservée à la caste des griots, et les Keïta sont une caste de princes descendants de Soundjata Keïta, le fondateur de l’empire du Mali. Face à son refus d’abandonner son projet de devenir musicien, Salif est rejeté par sa famille et  commence alors une vie d’errance qui le mène à la capitale Bamako où il squatte les environs de la gare ferroviaire et vit de petits boulots.

Mais une autre idée lui trotte derrière la tête car Salif sait que le buffet-hôtel de la gare héberge le plus grand orchestre du pays, le fameux Rail Band de Bamako et son rêve est d’en faire partie.  Un beau jour, il se présente et sollicite une audition auprès du chef d’orchestre, le saxophoniste Tidiani Koné qui est tout de suite bluffé par ce jeune à la voix et au timbre uniques. A partir de ce jour, le buffet-hôtel ne désemplira plus de clients venus l’écouter, mais en 1973, Salif rejoint les Ambassadeurs un cran au dessus, avec qui il joue au motel de Bamako avant de s’installer à Abidjan où il enregistre Mandjou, son premier album.

Toute l’Afrique découvre l’immense talent de Salif et c’est la consécration mondiale quand en 1980 il enregistre Prinpin et Tounkan aux Usa.

En 1984, il revient à Bamako pour soutenir son père vieillissant et à  son retour en France, participe au Festival des Musiques Métisses d’Angoulème qui lui réserve un véritable triomphe. Le succès est tel que sa maison de disques lui demande de venir s’installer en France à Montreuil d’où il anime aussi de nombreuses fêtes organisées par l’importante communauté malienne immigrée, participe à l’écriture de musiques de films et à des œuvres humanitaires comme « Tam-Tam » pour l’Ethiopie aux côtés du sénégalais Youssou Ndour.

En 1989, il sort son second album en France Ko-Yan qui contient un tube planétaire, Nous Pas Bougé où il aborde les problèmes que rencontrent les immigrés en France. Son troisième album Amen sort en 1991, suivi en 1995 de Folon qu’il dédie aux enfants albinos et pour lesquels il met en place une fondation afin de sensibiliser le public aux nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés en Afrique.

Devenu une star planétaire, Salif n’en oublie pas pour autant ses débuts plus que difficiles, et en 1996, il ouvre un studio d’enregistrement à Bamako pour venir en aide aux jeunes musiciens dont la désormais star Rokia Traoré.  Sa discographie s’enrichira de Sosie en 1997 (un album où il reprend de titres de chanteurs français comme Higelin ou Gainsbourg interprétés à la kora ou au balafon), le bouleversant Papa en 1999, un disque où il rend hommage à son père décédé deux ans plus tôt, puis Moffou en 2002 qui lui permet de décrocher un Kora Award, l’équivalent africain des Victoires de la Musique.  Il faudra attendre 2005 pour voir Salif revenir dans les bacs avec Mbemba, un album iconoclaste où le Madingo King oscille entre blues, rock et musique africaine avec une insolente aisance.

Mais Salif reste fidèle à son engagement citoyen et en 2007, il se présente aux élections législatives maliennes, et même s’il n’est pas élu, retire de cette aventure la grande satisfaction d’avoir participé à l’avènement d’une démocratie dans son pays.En 2009, Salif met La Différence sur le marché, un album solaire où il promeut la paix et la fraternité à travers une approche  folk  soutenue par sa voix phénoménale et son toucher de guitare si particulier.

Le 19 juillet 2010, Salif Keïta est nommé Ambassadeur de la Paix de L’Union Africaine afin de soutenir « les efforts de la Commission pour résoudre les conflits et promouvoir la paix sur le continent ». Preuve de l’importance du bonhomme, il avait déjà fait son entrée dans le dictionnaire français le Petit Larousse illustré depuis 2007. Mais tout cela ne lui fait pas oublier son amour de toujours (la musique) qui transparaît dans tout ce qu’il fait et est qui se trouve tout traduit dans cette phrase de Salif :

« Un disque, c’est comme un enfant. On se fiche qu’il soit beau ou pas. L’important, c’est d’avoir fait ce qu’on voulait faire. (. . .) C’est le fruit de l’amour. Et l’amour, partout, perce plus fort que les balles d’un fusil ».     Zack Badji

Illustration: aquarelle de Régine Coudol-Fougerouse

 

Pas de commentaire pour le moment...

Laisser un commentaire

Le code HTML dans le commentaire sera affiché comme du texte, les adresses internet seront converties automatiquement.