MILES DAVIS

Un jour, la journaliste Pannonica de Koenigswarter demanda à trois cents  musiciens de jazz quels étaient leurs trois vœux les plus chers. Quand fut venu le tour de Miles Davis, elle reçut une réponse qui la laissa sans voix et qui disait tout de la condition des Noirs de l’époque : « je n’ai qu’un vœu, c’est celui d’être blanc ». Cette anecdote illustre à elle seule la stature d’un homme qui n’était jamais là où on l’attendait. Car tel était Miles Dewey Davis III :iconoclaste, déroutant et hors normes à tout point de vue.  Il vient au monde le 26 mai 1926  à Alton(Illinois), sur les bords  du Mississippi. Son père est un chirurgien-dentiste réputé, ce qui permet à Miles de grandir dans un milieu relativement aisé, contrairement à la grande majorité des Noirs qui végètent dans une Amérique où la ségrégation raciale est érigée en modèle de société. Le jeune Miles grandit donc dans un environnement intellectuel de haut niveau, entouré de livres rares et bercé par la musique des grands maîtres puisque sa mère Cleota Henry joue du piano et du violon tandis que sa grand-mère était professeur de d’orgue dans l’Arkansas, sans compter que sa sœur aînée, Dorothy étudie aussi la musique.

En 1927, la famille Davis s’installe à East Saint-Louis où le père de Miles vient d’ouvrir un cabinet dans un quartier à prédominance blanche. Le petit garçon se passionne pour le sport  mais aussi pour la musique, suivant avec assiduité l’émission radiophonique de jazz  Harlem Rhythms.  A l’âge de dix ans, un ami de son père, le docteur Eubanks, offre à Miles une trompette et commence alors entre lui et cet instrument une histoire d’amour éternelle. Mais c’est Elwood Buchanan un autre ami de son père, professeur à la Lincoln High où Miles étudie qui va lui faire découvrir les particularités de la trompette de jazz à partir de 1929. Le jeune Miles prend également des leçons avec Joseph Gustat, la première trompette et chef de pupitre de l’orchestre symphonique de Saint –Louis tout en jouant dans l’orchestre de son école, dont il est le plus jeune élément.

Sous l’influence du trompettiste Clark Terry, star du jazz local, Miles saute le pas et devient professionnel en 1942 lorsqu’il s’inscrit à la Fédération américaine des musiciens. Malgré son jeune âge qui lui interdit en principe l’accès des clubs de la ville, Miles se produit régulièrement en public, acquérant une renommée grandissante dans la région, tout en continuant à fréquenter la high school. En 1942, à l’âge de 16 ans, il est engagé dans un orchestre de rhythm’n’blues, dont le leader Eddie Randle lui confie la redoutable tâche de diriger les répétitions, ce qui fait acquérir à Miles une solide connaissance du métier. C’est au cours de cette période qu’il développe un goût prononcé pour la théorie musicale, goût qui allait lui permettre d’élaborer les multiples évolutions stylistiques qui ont fait de lui l’un des musiciens les plus innovants de tous les temps. En plus des morceaux essentiellement blues, les Devils jouent entre East Saint-Louis et Saint-Louis(Missouri) du Duke Ellington, Lionel Hampton ou Benny Goodman, donnant à Miles l’occasion d’écumer les jamm –sessions aux côtés de son ami Clark Terry. Ces virées mémorables vont permettre à Miles de s’aguerrir en « faisant le bœuf » avec des musiciens célèbres comme Roy Eldridge, Kenny Dorham, Benny Carter et surtout l’immense Lester Young, saxophoniste légendaire et modèle de Miles Davis.

En 1944, Miles va vivre une période charnière puisqu’il est diplômé de Lincoln High au même moment où sa première fille Cheryl vient au monde. Mais c’est aussi un moment pénible puisque ses parents viennent de divorcer et ses relations avec sa mère, conflictuelles depuis longtemps se dégradent d’avantage.

La révolution Bebop  

En juin 1944, Miles a dix-huit ans. Après un détour décevant par la Nouvelle-Orléans où il a brièvement joué dans le groupe Six Brown Cats d’Adam Lambert pour lequel Miles a quitté les Blues Devils, Miles hésite ente rejoindre la Faculté de chirurgie dentaire, ou suivre son ami Clark Terry dans l’orchestre de l’Us Navy.

C’est un événement inattendu qui va décider du sort de Miles car à la même époque, le Big Band de Billy Eckstine vient jouer dans un club de Saint-Louis. Cette formation compte en son sein les précurseurs de ce que l’on nomme la révolution Bebop, un nouveau style musical qui chamboule le jazz depuis le début des années 40 :le trompettiste Dizzy Gillespie et le saxophoniste Charlie Parker. Au début du concert, c’est le coup de chance : Gillespie vient trouver Miles et lui demande de les rejoindre sur scène pour remplacer un leur trompettiste défaillant. Aux anges après cette rencontre musicale inespérée Miles prend une décision capitale pour la suite de sa carrière :il va rejoindre le groupe de Dizzy et Parker à New York.

Bien qu’il se soit inscrit à la célèbre Juilliard School of Music avec l’aide de son père dès son arrivée dans la Grosse Pomme, Miles a une  autre idée derrière la tête en cette rentée 1944 :il veut retrouver Gillespie et Parker, et pour y parvenir, commence à fréquenter assidûment le Minton’s, un club de la 118ème rue, berceau légendaire du Bebop où il rencontre également les trompettistes Freddie Webster et Fats Navarro qui deviennent ses complices musicaux. Après des pérégrinations qui sont devenues légendaires dans New-York, Miles  met finalement la main sur Gillespie et Parker (qui fauché comme toujours s’installe un temps chez Miles) et commence à s’initier aux subtilités du Bebop, un style qui se révèle particulièrement complexe et ardu. De plus, Parker, le Bird le présente à d’autres  légendes du style, dont le stratosphérique pianiste Thelonius Monk.

Parallèlement à ses études Miles devient un habitué des nuits de la Gross Pomme, et accompagne de grands noms comme la chanteuse Billie Holiday au sein de l’orchestre du saxophoniste Coleman Hawkins. A propos de cette époque, il confiera plus tard : « Je pouvais en apprendre plus en une nuit au Minton’s qu’en deux ans d’études à la Julliard School ».

Miles obtient dans la foulée son premier engagement officiel début 1945 et grave ses quatre premiers morceaux aux côtés du saxophoniste ténor Eddie « Lockjaw » Davis. Ces morceaux de blues un peu fantaisistes centrés sur le chant ne sont pas le meilleur moyen pour Miles de montrer son talent, mais ont le mérite de lui mettre le pied à l’étrier.

En octobre 1945, Miles enfin le quintet de Charlie Parker en remplacement de Dizzy Gillespie qui a quitté le groupe quelques jours auparavant. Le 26 novembre, puis le 28 mars, Miles enregistre avec Parker les classiques Moose The Mooche, Yardbird Suite, Ornithology et A Night In Tunisia. La sonorité douce et posée du jeu de Miles, s’opposant à la véhémence de Parker apporte une nouvelle touche à la musique du quintet de Parker au point où le magazine Esquire proclame Miles « Nouvelle Star de La Trompette. » Il y restera trois, apprenant énormément et gravant des titres légendaires, mais prenant aussi les mauvaises habitudes de Parker, principalement l’héroïne qui va décimer les rangs des « boppers ».

A l’automne 1946, Parker paye ses excès par une hospitalisation et Miles, sans groupe, se voit obligé de jouer avec Mingus, avant de rejoindre à nouveau l’orchestre e Billy Eckstine pour une tournée. Malheureusement, cette formation est dissoute au printemps 1947 et Miles se retrouve sans emploi ;cette situation le fragilise, et après des années de résistance à la drogue, Miles plonge dans l’héroïne et la cocaïne. Pourtant,Miles continue à être célébré par des magazines prestigieux et participe à des enregistrements légendaires avec les musiciens les plus réputés de la scène, même s’il trépigne, frustré et agacé de ne pouvoir créer un son qui lui soit propre.

La naissance d’une légende

Mais les états d’âme ne durent pas longtemps et à l’été 1948, Miles décide de sauter le pas et met son projet à exécution avec l’aide de l’arrangeur Gil Evans qu’il a rencontré plusieurs années auparavant. Miles veut se détacher des principes du Bebop et du quintet de Charlie Parker. Désormais installé à New-York, il fonde un  un nonet (neuf musiciens) qui se situe entre le big band et les petites formations de bop et dont la première caractéristique est d’imiter l’un des registres de la voix humaine. Le 18 septembre 1948, le public du Royal Roost de New York découvre une musique dont la richesse de l’orchestration, les arrangements soignés et la relative lenteur rompent radicalement avec l’urgence du Bebop :c’est la naissance du jazz cool.

Le nonet est tout de suite remarqué par Capitol Records qui décide de signer le groupe pour une douzaine de morceaux dont Godchild ou Budo, mais il faudra attendre les années 50 et le célèbre album Birth of the Cool pour voir la « révolution Miles » changer la face du jazz à tout jamais.

En mai 1949, Miles effectue son premier voyage à l’étranger pour les besoins du Festival International de Paris où il rencontre l’élite intellectuelle et artistique française  dont Jean-paul Sartre, Boris Vian, Pablo Picasso et surtout Juliette Greco dont il tombe éperdument amoureux. Pour Miles, ce séjour est une révélation tant la France lui paraît plus démocratique et moins raciste que l’Amérique au point où il aura la sensation, dira -t- il dans son autobiographie « d’être traité comme un être humain pour la première fois de son existence ». Le trompettiste hésite cependant à épouser Gréco car dans son pays, « les unions mixtes » sont tout simplement illégales. En plus,Miles  ne veut pas que sa bien-aimée renonce à sa carrière d’actrice et la mort dans l’âme, il laisse Gréco à Paris pour rentrer à New York en fin mai.

Mais de retour aux Usa, la séparation d’avec Greco et le milieu parisien lui pèsent et Miles replonge dans la drogue. Laissant femme et enfants dans le Queens, il s’installe dans un hôtel de la 48e rue de New York et va jusqu’à financer son addiction grâce à des prostituées. Sa maison saisie par des huissiers, Miles n’a plus d’autre choix que de tourner avec un orchestre composé de drogués notoires et se retrouve en prison à Los Angeles, suite à une descente de police.

Les années suivantes, Miles continue d’enregistrer avec de grands musiciens comme Charlie Parker ou Billie Holiday et fait la connaissance d’un jeune saxophoniste, John Coltane avec qui il joue brièvement à l’Audobun Ballroom de Manhattan. Mais les démons de la drogue sont plus forts, et malgré l’intervention énergique de son père qui va même jusqu’à le faire arrêter par la police, miles ne parvient pas à décrocher de l’héroïne. C’est seulement après sa rencontre avec la danseuse Frances Taylor qui va devenir sa seconde épouse qu’il réussira à rompre avec la drogue.

La renaissance du Sphinx

En février 1954, Miles émerge et réunit un nouveau sextet qui compte notamment le batteur Kenny Clarke et le pianiste Horace Silver. Ensemble, ils posent les bases d’un nouveau style qui deviendra la troisième vague du jazz moderne :le Hard Bop. Avec ce nouveau style, Miles veut « tuer » son Cool Jazz et mettre en place une façon plus simple de jouer du point de vue harmonique. Les amateurs de Jazz découvrent ce nouveau concept sous la forme d’un disque révolutionnaire qui porte le titre évocateur de Walkin’, qui avec des titres comme Olé, Airegin et Doxy, constitue un tournant dans l’histoire de la musique moderne.

Cette année 1954 est l’année charnière de Miles Davis qui aura transformé un bon trompettiste en jazzman de génie, passé maître  dans l’art du solo et désormais détenteur d’une originalité sonore qui le distingue pour toujours des autres trompettistes. La carrière de Miles, sérieusement menacée par son addiction, est définitivement relancée, en atteste la standing ovation qui salue son interprétation de Round Midnite de Thelonius Monk lors du festival de Jazz de Newport en 1955. La même année, Miles fonde son premier grand quintet avec John Coltrane au sax ténor, Red Garland au piano, Paul Chambers à la contrebasse et Philly Joe Jones à la batterie ; l’ensemble de ces musiciens sont ou deviendront des légendes du jazz, le plus connu étant John Coltrane qui deviendra même l’égal de Miles.

En 1957, le groupe sort l’album ‘Round About Midnight qui remporte un grand succès et un confort matériel qui font de lui un personnage à part dans l’univers du jazz. C’est également à cette période qu’intervient un événement qui va construire une partie du mythe Miles Davis : alors qu’il se remet de l’ablation de nodules sur ses cordes vocales, Miles s’emporte contre un organisateur de concerts indélicat, endommageant définitivement sa gorge. Cette voix ravagée, semblant venir d’outre-tombe restera le symbole d’un homme qui refuse de se laisser marcher sur les pieds et qui obtint par la suite une revalorisation financière conséquente ainsi qu’une norme de trois sets par soir au lieu des quatre qui sont la norme depuis toujours.

Mais malgré le succès, l’ambiance au sein du groupe n’est pas au beau fixe à cause des problèmes de drogue que rencontre John Coltrane. Les disputes sont fréquentes et après une nouvelle altercation où Miles et le Trane en viennent aux mains, John quitte la bande et rejoint l’orchestre de Thelonius Monk en avril1957. Mais Miles va donner une nouvelle chance à Coltrane et après une cure personnelle qui lui permettre de se libérer de l’héroïne, le jeune virtuose va retrouver le quintet de Miles pour ce qui restera le meilleur de leur collaboration. En effet, le 2 mars 1959, Miles, accompagné de Julian « Cannonball »Adderley, John Coltrane, Bill Evans, Paul Chambers et Jimmy Cobb débute l’enregistrement de « Kind Of Blue ». Le jazz modal qu’il avait initié un an plus tôt trouve dans cet album une expression parfaitement aboutie. Kind Of Blue est encore perçu comme l’un des meilleurs enregistrements de l’histoire du jazz et le disque de jazz le plus vendu dans le monde.

Mais les retrouvailles sont de courte durée et après le départ de Coltrane, Miles cherchera pendant un bon moment  le saxophoniste qui saura renouveler son œuvre. Il viendra courant 1964 en la personne de Wayne Shorter qui avait déjà officié au sein des Jazz Messengers de Art Blakey. Miles y voit un signe et va plus tard déclarer dans son autobiographie : « Avoir Wayne me comblait parce que je savais qu’avec lui, on allait faire de la grande musique. C’est ce qui est arrivé très vite ».  Lors des concerts qui vont suivre, on entend le groupe à son meilleur niveau. Wayne Shorter y démontre toutes ses qualités de soliste tandis que la section rythmique composée de Ron Carter et Tony Parker brille par sa cohésion et son inventivité qui jusqu’à nos jours, n’ont jamais été égalées. En octobre 1966, le groupe enregistre ce que beaucoup considèrent comme son chef-d’œuvre, l’album Miles Smiles, suivi de Sorcerer et Nefertiti en 68, puis Miles In The Sky et Filles de Kilimanjaro en 1968.

Le jazz électrique, une nouvelle révolution

La fin des années 70 voit la musique changer radicalement de visage. Le funk et le rock, portés par la vague hippie, envahissent les ondes, et comme à son habitude, Miles se montre très curieux à l’égard de ces genres musicaux, au contraire de beaucoup de ses confrères jazzmen qui n’y voient qu’une « musique de dégénérés ». Lourde erreur car Miles a compris que cette musique porte en elle les ferments de celle de demain et s’engouffre dans la brèche.

Ainsi,vingt- ans après avoir initié le cool jazz, et dix ans après avoir expérimenté le jazz modal, Miles invente la fusion, ou jazz-rock. Marqué par une admiration sans bornes pour Jimi Hendrix, l’album In A Silent Way que Miles publie en février 1969 donne au jazz une couleur électrique  qui va marquer la musique pour toujours. Ce nouveau style s’affirme de manière éclatante avec Bitches Brew, un album sorti en 1970 et où Miles s’entoure de jeunes musiciens qui seront bientôt les chefs de file du jazz fusion tels le guitariste John Mc Laughlin et le claviériste d’origine autrichienne Joe Zawinul. Donnant aux musiciens de simples esquisses de thèmes, Miles offre aux musiciens une plus grande liberté dans l’improvisation, et met en avant les instruments électriques d’une manière inédite dans l’histoire du jazz. Avec In A Silent Way et Bitches Brew, Miles Davis provoque une authentique révolution  en même temps qu’il recueille un vrai succès populaire puisque Bitches Brew se vend à plus de 500 000 exemplaires.

La musique de Miles Davis sera à tout jamais marquée du sceau du funk car pour le trompettiste, la musique de James Brown et Sly & The Family Stone est la nouvelle musique du peuple noir au contraire du blues qu’il déclare « vendu aux blancs ».

Du 16 au 19 décembre 1970, Miles enregistre avec son groupe dans un club de Washington, le Cellar Door, avec Keith Jarrett, Jack Dejhonette, Airto Moreira, Gary Bartz et Michael Henderson. L’arrivée de ce dernier est déterminante. Ancien musicien de Stevie Wonder, il n’est pas jazzman de formation mais son style funky, basé sur des lignes de basse répétitives est déterminant dans la nouvelle approche musicale que Miles a initiée depuis In A Silent Way.  Ces enregistrements du Cellar Door constitueront le noyau de l’album Live Evil publié le 17 novembre 1971.

L’année suivante, Miles sort l’ambitieux On The Corner, un album qui tente, selon la formule de Fred Goaty (Jazz Magazine) « de faire groover ensemble Sly Stone et Stockhausen »! Vaste projet qui n’est pas tout de suite compris puisque cet album ainsi que celui qui le suivra dans la même veine auront du mal à trouver leur public à l’époque. Rejetés par la plupart  des critiques de jazz, ces deux albums ne parviennent pas non plus à séduire la jeunesse noire, même s’ils sont aujourd’hui considérés comme des chefs d’œuvre du jazz-funk. Cette période dite « électrique » fait exploser les codes classiques mais conserve toutefois une démarche jazz et ce à deux niveaux :la recherche constante d’une nouvelle approche de le musique et la part belle faite à l’improvisation. Les quatre années suivantes, Miles sillonne le monde pour donner des concerts de légende dont l’apogée se situe le 1er février 1975 à Tokyo au Japon. Ce jour- là, Miles Davis électrise le public à travers deux shows dénommés Aghartha (concert de l’après-midi) et Panghaea (concert du soir) et qui paraîtront sous la forme de deux albums. Ces disques sont la parfaite conclusion de cette période créatrice très riche. En 1975, Miles quitte la scène pour des motifs de santé.

Miles is gone

En 1981, Miles revient sur le devant de la scène avec l’album The Man with the Horn, un album de jazz-rock très funk. Comme à sa bonne habitude, il s’entoure d’un groupe formé de jeunes loups qui deviendront des stars (Marcus Miller, John Scofield, Darryl Jones, Mike Stern, Mino Cinelu, etc.) A partir de ce moment, Miles devient un gourou, un passeur qui permettra à des publics plus rock ou funk de découvrir la beauté du jazz au sein d’une harmonie gorgée d’émotions et d’énergie. Grâce à Miles, le jazz, terme qu’il trouvait de plus en plus restrictif pouvait  enfin toucher un public de plus en plus large et continuer ainsi à se renouveler. Désormais assisté par Marcus Miller, bassiste poly-instrumentiste et de Bill Evans, Miles enregistre ensuite des albums au son plus moderne à partir des synthétiseurs numériques alors en vogue. Ce sont Decoy (1984), ou You’re Under Arrest l’année suivante, sur lequel il s’attaque au répertoire d Michael Jackson (Human Nature) et Cyndi Lauper (Time After Time).

A la fin des années 80, Miles collabore également avec Prince, mais à ce jour pratiquement aucun enregistrement studio n’a émergé de ces sessions. Lors des visites guidées des studios Paisley Park, au débuts des années 2000, il est indiqué aux visiteurs que  le coffre-fort des studios renferme » les légendaires sessions enregistrées avec Miles Davis ». Il existe toutefois un disque et une vidéo non autorisés qui témoignent du concert que Prince organisa le 31 décembre 1987 où Miles fit une brève apparition durant laquelle Prince ne lui laissa hélas, que très peu de place pour s’exprimer.

Le 28 septembre 1991, Miles meurt à l’âge de 65 ans à l’hôpital St John de Santa Monica près de Los Angeles  où il était entré pour un bilan médical complet suite à des ennuis de santé. Dans un entrefilet du New Musical Express, on peut lire : « Miles Davis est en train de mener un combat perdu contre le sida dans un hôpital californien ». Vrai ou faux ? Dans tous les cas, l’information sur la nature de son mal n’a jamais été confirmée.

Le monde venait de perdre celui qui pendant près de cinquante ans avait été à la base de toutes les mutations majeures dans le jazz, et qui au delà de cette musique, avait aussi influencé le rap ou la dance comme en atteste son dernier album, posthume, Doo-bop  paru en 1992 et où Miles collabore avec des musiciens de hip-hop qui apportent toute  la section rythmique. Il laisse un vide immense que François René Simon a magnifiquement résumé en ces termes dans l’éditorial de Jazz Magazine d’octobre 1991 consacré à Miles Davis : « Jazzman de la fin qui approche » comme l’appelle Jacques Réda, maintenant qu’elle est là pour lui cette fin, soudain une angoisse : qui pour faire reculer la fin du jazz, désormais ? » Zack Badji

Illustration: dessin de Régine Coudol-Fougerouse

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