MIDNITE

Quand Midnite apparaît sur la scène en 1989, le reggae présente un tableau peu reluisant. Non pas que la musique venue des ghetthos de Kingston soit devenue inintéressante, mais parce qu’une hécatombe qui laisse encore sans voix  décima ce que la Jamaïque avait produit de mieux en matière de musique. En effet, l’année 1981 marque le début de ce que certains, comme c’est souvent le cas face à la grande faucheuse avaient nommé la « malédiction rasta ». Le 11 mai de cette année disparaissait Bob Marley, emporté par un cancer fulgurant, alors qu’il n’avait que 36 ans. Suivront Jacob Miller, le surdoué et stratosphérique chanteur de Inner Circle, Peter Tosh, le Mystic Man ou un peu pus tard Puma Jones , la voix féminine des Black Uhuru. Le tableau était donc plus que sombre quand une lueur d’espoir vint contredire ceux qui prétendaient que la « Jah music » allait disparaître avec ses brillants précurseurs. En effet, les années qui suivirent allaient voir apparaître sur le devant de la scène des jeunes loups aux dents très longues. Des groupes phares comme Steel Pulse, en provenance des faubourgs de Birmingham en Angleterre, les jamaicains de Black Uhuru emmenés par le génial Michael Rose ou encore le Culture de Joseph Hill  vont relever le défi et porter le reggae vers des sommets inenvisageables dix ans plus tôt.

Et puis, plus rien. Le reggae, miné par des querelles intestines qui aboutirent à l’assassinat de Carlton Barrett, batteur des Wailers, va peu à peu céder le pas à une de ses variantes, le reggaemuffin ou dancehall, qui s’il n’est pas mauvais en soi est plutôt une musique festive, peu portée sur la conscientisation des masses que les pères fondateurs avaient pourtant érigée en principe inaliénable. Les fans du reggae roots qu’on peut traduire par « reggae originel » se désolaient donc et enfin, vint Midnite. Formé par les frères Benjamin, Ron (basse, chant, direction musicale ) et Vaughn (chant)qui en constituent le noyau dur, Midnite est un groupe originaire de Saint-Croix, dans les Îles Vierges américaines.

Comme Obélix dans la potion magique, les frères Benjamin tombent dans la marmite de la musique à leur naissance puisqu’ils sont issus d’une famille de musiciens qui les encourage très tôt à faire de musique. Même s’ils gagnent très vite un succès d’estime sur leur île natale, le chemin est parsemé d’embûches puisqu’il faut attendre 1997 pour voir Midnite décoller vraiment. « Unpolished » est le titre de leur premier album et comporte des titres devenus classiques comme « Don’t Move », le jubilatoire « Mama Africa » qui appelle à l’unité des coeurs ou encore l’incantatoire « Love The Life You Live ».

En 1999, Midnite se lie avec Wild !Records pour leur second opus. Aussi incroyable que cela puisse paraître, « Ras Mek Peace »est enregistré sur seulement deux pistes, sans aucune réverbération, compression ou equalisation !  Le résultat est pourtant stupéfiant puisque des titres comme « Hieroglyphics » où Vaughn compare les graffitis aux anciens hiéroglyphes égyptiens démontrent par leur puissance sonore et messianique, l’intelligence du songwritting qui constitue la trame de l’œuvre de Midnite. En 2002, les frères Benjamin quittent Washington DC , reviennent à Saint-Croix pour travailler avec des musiciens locaux et enregistrent dans le African Roots Lab, le studio de leurs débuts où ils  retrouvent la sérénité et la quiétude qui leur manquaient aux Etats-Unis. Les fruits de ce retour aux sources sont magnifiques puisque Vaughn et Ron donnent naissance à l’album « Jubilees of Zion » qu’ils produisent eux-mêmes et qui marque l’entrée définitive de Midnite dans la cour des grands. Véritable chef-d’œuvre d’écriture dont le titre éponyme est un retentissant manifeste pour l’unité de l’Afrique, cet album comporte des joyaux comme le morceau « Zimbabwe Walls » qui achève de convaincre de l’immense culture du chanteur Vaughn Benjamin.

2002 marque aussi la sortie de l’ « albombe »  » Seek Knowledge before Vengeance » qui produit une véritable déflagration dans l’univers un peu endormi du reggae et marque la mise en orbite définitive de la fusée Midnite. Cet opus contient des titres immenses comme « Mushroom Cloud » ou « Seek Knowledge » qui invitent les noirs du monde entier au dépassement des souffrances nées de l’esclavage et de la colonisation afin de rentrer dans l’ère moderne. La discographie de Midnite s’enrichit ensuite avec « Intense Pressure » en 2003, « Scheme a Thing » et « Anshient Maps »en 2004 qui contient le sémillant « Look and See », « Live 94117 » en 2008, « What Makes A King » en 2010 et « Anthology » en 2011.

Parallèlement à leurs albums, Midnite collabore avec un nombre impressionnant d’artistes dont les plus marquants sont I Grade, Branch I ou encore la chanteuse Dezarie, véritable perle venue des rivages de Saint-Croix et dont la voix cristalline rappelle tout de suite Rita Marley ou Judy Mowatt, les célèbres I Threes de Bob Marley.

En brisant toutes les règles sans pour autant renier son héritage, Midnite est en passe d’établir de nouveaux standards.  Armés d’une foi inébranlable en Jah Rastafari, de leur talent naturel ainsi que d’une solide et incorruptible vision musicale, les frères Benjamin rendent au reggae des lettres de noblesse que le destin tragique de ses héros et l’ostracisme des maisons de disques avaient fini par effacer. Jah Guide and Protect! Zack Badji  

Illustration: aquarelles de Régine Coudol-Fougerouse

Un commentaire

Le 29 novembre 2012 tafari

Très bon article !! Midnite est à part pour moi, voilà environ 15 ans que je suis tombé amoureux du reggae dont au moins 8 en compagnie de Midnite. Je ne peux passer une journée sans écouter ces 2 génies ! Je suis d'accord, oui ils ont inventés un nouveau style de reggae, ultra moderne, se liant à beaucoup d'influences, mais restant profondément roots & conscious. Midnite : juste excellentissime

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