KEZIAH JONES

Quand nous avons décidé d’écrire l’article que vous êtes en train de lire, nous nous sommes demandés où il fallait classer Keziah Jones. Pas que nous soyons des inconditionnels des cases ou des choses convenues, mais parce que le garçon se situe au confluent de toutes les cultures et de toutes les influences. Ainsi, lorsque l’on entend sa musique pour la première fois, la déroute est totale. Iconoclaste, débordante d’énergie, elle prend aux tripes et ne vous quitte plus.

Pourtant, rien ne destinait Olufemi Sanyaolu alias Keziah Jones à la musique lorsqu’il naît en 1968 à Lagos au Nigéria. Fils d’un chef de tribu, également riche homme d’affaires qui a des intérêts un peu partout dans le monde, il aurait pu vivre dans l’opulence en marchant dans les pas du paternel. Mais le garçon a contracté le virus de la musique « quand il était dans le ventre de sa mère » comme il aime à le dire et a depuis son plus jeune âge une idée très précise de son avenir. Sans doute excédé par ce fils qui ne rêve que de monter sur les plus grandes scènes du monde, son père l’envoie en Algérie où il est pris en charge par un de ses oncles travaillant dans la région de Constantine. Il n’a que huit ans quand il quitte l’Algérie, direction l’Angleterre où son père lui a trouvé une place dans une grande école publique. Ce départ pour l’Europe est un vrai choc culturel pour le jeune Keziah Jones qui avouera plus tard, avoir éprouvé le sentiment  de « débarquer sur une autre planète ».

C’est dans la musique qu’il trouve le moyen de dépasser son « blues » et  compose ses premières chansons sur le vieux piano de l’école et dans sa tête, le choix est déjà fait. Il néglige ses études et quitte le collège pour mener une vie de bohème qui l’amène à jouer dans la rue et les pubs de Londres. Le bouche à oreille fonctionne du Royaume-Uni  à Paris puisque Keziah se forge patiemment une solide réputation de musicien iconoclaste et crée ce que lui même nomme le Blufunk, en référence à ses principales sources d’inspiration que sont Senghor le chantre de la Négritude, son compatriote Fela Kuti ou John Coltrane.  Séduit par cet étonnant mix de blues, de soul et de funk acoustique, Phil Pickett qui deviendra un temps son manager, le fait tourner dans tout le Royaume- Uni, seulement accompagné d’un batteur et d’un bassiste.

Le trio fait un tabac, ce qui permet à Keziah de sortir son premier album au titre énigmatique de « Frinigo Interstellar » en 1991. L’accueil du public est très favorable car avec son style musical inédit, Keziah se démarque nettement de ce qui se fait à l’époque et révèle au monde un jeune musicien au jeu de guitare flamboyant qui n’est pas sans rappeler un certain Jimi Hendrix. Paradoxalement, Keziah quitte l’Angleterre en 1992, s’installe à Paris et écume le métro parisien pour des jamm-sessions  qui sont restés dans les mémoires.

Il attire ainsi l’attention d’un directeur artistique de Delabel France qui le signe pour son véritable premier album. En 1993, paraît le disque- manifeste « Blufunk Is A fact » dont l’un  des titres, « Rhythm Is Love devient très vite un tube planétaire. Il faudra attendre deux ans pour voir Keziah commettre un nouvel opus qui ne confirme pas le succès du premier puisque « African Craft » est un relatif échec commercial. Keziah s’éloigne alors des feux de la rampe et s’adonne à ses autres passions que sont la peinture et la poésie. Il se lance même dans la réalisation d’un court-métrage au risque de se couper de son public qui commence à se demander si Keziah Jones reviendrait à la musique.

C’était sans compter avec la puissance de la créativité sans bornes de Keziah puisque son retour dans les bacs en 1999 est une véritable claque. Il retrouve tout de suite les faveurs des critiques et du public avec « Liquid Sunshine » qui lui remet le pied à l’étrier, balayant du coup la frustration engendrée par l’accueil mitigé qu’avait reçu « African Craft ». Keziah retrouve les studios en 2003 et sort « Black Orpheus » qui est certainement son album le plus abouti tant par la qualité des compositions, mais surtout par l’intelligence avec laquelle il évoque ses origines africaines tout en faisant preuve d’une ouverture d’esprit remarquable envers le reste du monde. Il entame ensuite une tournée triomphale qui le mènera dans toute l’Europe et qui couronne trois ans d’un travail acharné.

Les usagers du métro parisien, dont votre serviteur, auront le plaisir et le privilège d’apprécier le côté déroutant du garçon puisqu’à l’occasion de la sortie de son cinquième album « Nigerian Wood » en septembre 2008, il inaugure une série de concerts « surprises »  dans le cadre de l’opération Destination Musique initiée par la RATP. Aujourd’hui, Keziah Jones est devenu une vraie personnalité politique et morale du fait de son engagement pour l égalité entre les peuples et un indéfectible  attachement à ses origines africaines. Le magazine Jeune Afrique ne s’y est d’ailleurs pas trompé en le faisant figurer dans le top 100 des Africains les plus influents du moment. Keziah envisage maintenant de mettre sur pied un festival Paris-Lagos pour établir un pont entre l’Afrique et l’Europe tout en continuant de transmettre aux futurs musiciens les fondements de son Blufunk.  Zack Badji

Illustration: aquarelle de Régine Coudol-Fougerouse

 

 

 

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