KAREYCE FOTSO

 


Le Cameroun est une terre de musique(s) et du tréfonds des âges, elle a toujours produit des artistes exceptionnels. Cette contrée qui a la musique comme religion a donné au monde des artistes au destin fabuleux comme le « Père » Pierre Marie Talla, Manu Dibango et son soul-makossa, le génial Etienne Mbappé ou encore le virtuose de la basse qu’est Richard Bona pour ne citer que ceux-là.

Aujourd’hui encore, le pays de la sanza danse, trépigne, chante et de son sein pris des convulsions de la transe musicale, expulse des enfants au talent précoce comme Kareyce Fotso. Cette jeune Camerounaise de l’ethnie Bamiléké, mais élevée chez les Béti emprunte des sentiers détournés pour arriver à la musique puisqu’elle fait des études de bio-chimie à l’université de Yaoundé 1, un passage qu’elle qualifie de « moment le plus triste de sa vie » puisqu’elle « s’est ennuyée comme jamais ». La biochimie n’étant pas vraiment son dada, elle change de filière et décroche un BTS en audiovisuel et photographie « pour rassurer ses parents » puisque son père, artiste-sculpteur de profession est trop conscient de la galère que vivent les artistes pour laisser ses enfants emprunter cette voie périlleuse. Le frère de Kareyce en fait d’ailleurs les frais puisque devant ses velléités artistiques, il est envoyé en internat, mais parvient de haute lutte à convaincre le paternel de laisser sa sœur tenter sa chance dans la musique. Son père accepte à une condition :tant que Kareyce apportera de bonnes notes, elle pourra continuer à chanter, sinon. . .

Kareyce signe le contrat des deux mains, puis un jour dont « elle se souviendra toujours », la jeune femme réalise quelque peu son rêve et intègre le mythique Korongo Jam d’Erik Aliana en tant que choriste où sa voix puissante et sa présence scénique hors du commun font des étincelles pendant six ans. Ses prestations attirent l’attention des autorités camerounaises qui la choisissent pour représenter le pays aux Jeux de la Francophonie édition 2009 à Beyrouth où elle décroche la médaille d’argent de la catégorie chant. Un moment dont elle se souvient encore avec émotion : « lorsque le palmarès a été connu, ma première réaction a été d’éclater en sanglots. Et à l’instant, j’avais envie de me retrouver dans mon pays, de partager ma joie avec ma famille, mes amis, ceux qui ont cru en moi  pour leur dire qu’ils n’avaient pas misé sur le mauvais cheval ».

Kareyce prend ensuite part à la première journée  internationale de commémoration des victimes de l’esclavage. Quelques semaines plus tard, elle décroche  un « Visa pour la Création », un programme lancé pat Cultures France qui lui permet de travailler en résidence à Bourges avec François Kokelaere, un musicien, scénographe et directeur artistique français  très respecté dans le milieu, fondateur de l’Ensemble des Percussions de Guinée. Sa rencontre avec Kokelaere est décisive puisqu’elle lève tous les doutes qui pesaient encore sur la jeune chanteuse. « François m’a permis de me regarder dans la glace et de me voir telle que je suis. J’ai enlevé le côté caricatural et au delà de la musique, j’avais l’impression de me découvrir moi-même » explique Kareyce. De cette collaboration naît un spectacle où Kareyce Fotso, accompagnée de sa seule guitare étale tout son bagage vocal à travers des chansons qui évoquent avec gravité, mais parfois avec humour le quotidien des Africains.

En 2009, Kareyce sort sur la marché camerounais un premier album solo qui porte le titre de « Mulato » qui veut dire métisse. Plus qu’un titre, « Mulato » est un concept : « je suis Bamiléké mais le suis née chez les Béti, et à travers ce disque, je voulais montrer la richesse de posséder deux cultures », explique Kareyce. Un appel à la tolérance et au partage donc, surtout à un moment où le démon de l’ethnocentrisme divisait la  Côte d’Ivoire.

Son afro folk aux sonorités jazzy prend peu à peu forme et en 2010, paraît à l’international le second opus de la jeune camerounaise. A la première écoute de cet album enregistré à Bruxelles et qui porte le titre de « Kwegne », on se retrouve à douter de l’âge de Fotso tant la voix paraît mûre et d’une justesse étonnante. A travers les 11 titres qui composent cette livraison, Kareyce évoque des sujets douloureux comme par exemple dans « Mayolé » où elle dénonce la déforestation accélérée de la forêt tropicale, fustige d’une manière poignante les mariages forcés dans « Lomdieu ». Au final, « Kwegne » est un album porteur d’espoirs même si on peut regretter un relatif manque d’audace dans les arrangements, mais est-ce tout simplement parce que la camerounaise a pris le parti de la simplicité et du minimalisme. Quoi qu’il en soit, on peut penser que l’Afrique a trouvé en Kareyce Fotso une nouvelle étoile et des raisons de croire en un avenir meilleur. Zack Badji  

Illustration: aquarelle de Régine Coudol-Fougerouse  

 

 

 

 

 

 

 

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