Ibrahim Maalouf

 

 

Beyrouth, Liban, dans les années 80. Un gamin de cinq ans, la main dans celle de son père quitte précipitamment la maison où il était né le 5 décembre 1980. Ce garçon s’appelle Ibrahim Maalouf et doit quitter son pays natal pour sauver sa vie. Lui et son géniteur sont obligés de fuir vers la France car la situation sécuritaire se dégrade à vue d’œil et rien ne semble pouvoir arrêter la machine de mort qui s’est enclenchée quelques mois plus tôt.

Pourtant, rien ne semblait pouvoir perturber l’existence paisible que son père, le trompettiste Nassim Maalouf et sa mère, la pianiste Nada Maalouf avaient  coulée dans cette ville lumière qu’était encore Beyrouth. Seulement, quelques mois plus tard, plus précisément le13 avril 1975, avait éclaté ce qui devait être l’un des conflits les plus meurtriers du vingtième siècle, bouleversant la vie des  Maalouf pour toujours. Dans une conflagration d’une violence inouïe, Isräel, le Hezbollah,  le Fatah de Yasser Arafat, les factions libanaises plus connues sous le nom de feddayins et divers autres groupes plus ou moins terroristes allaient transformer le pays du cèdre en un vaste cimetière pendant quinze ans.

Les Maalouf trouvent un point chute dans la proche banlieue parisienne et commence une nouvelle vie dans la ville d’Etampes dans l’Essone. Même si Ibrahim ne se destine pas encore à la musique, il commence quand même la trompette dès l’âge de cinq ans sous la férule de son père ancien élève de Maurice André au Conservatoire national Supérieur de musique et de danse de Paris. Ce père qui dans les années 60 avait réussi la prouesse d’inventer la trompette micro tonale dite à quarts de tons et qui permet de jouer les maqâms (demi-tons) arabes à la trompette. Une prouesse qui donne aujourd’hui à Ibrahim Maalouf le privilège rare d’être le seul trompettiste du monde à jouer de cet instrument.

Le père Maalouf donne aussi à son fils le goût de la musique et à neuf ans, il l’accompagne déjà à travers l’Europe sur un répertoire baroque où se côtoient Vivaldi, Purcell, Albinoni et d’autres grands maîtres. A quinze ans, Ibrahim se fait remarquer par les professionnels, lorsque membre d’ un orchestre de chambre, il interprète avec brio le 2ème Concerto Brandebourgeois de Bach,considéré par de nombreux trompettistes comme étant l’œuvre la plus difficile dans le répertoire pour trompette classique. Parallèlement à sa précoce carrière d’artiste, Ibrahim poursuit ses études et obtient un baccalauréat Général Scientifique Spé Maths au lycée Geoffroy-Saint-Hilaire d’Etampes.Quelques années plus tard, Ibrahim rencontre Maurice André qui le l’encourage à faire de la musique son métier.

Ibrahim suit son conseil et abandonne ses études scientifiques et entre sur concours au CNR de Paris dans la classe de Gérard Boulanger pour une formation de deux ans et où il obtient le Premier prix. Puis il entre sur concours au CNSM de Paris et y obtient aussi le Premier prix. Pendant ses cinq ans d’études, Ibrahim se présente à de nombreux concours un peu partout dans le monde dans le but de parfaire sa technique et de découvrir le maximum de répertoires. Partout où il passe, il rafle tout :Premier prix du concours International de trompette de Hongrie en 2001, Premier prix du National Trumpet Competition (Washington DC) la même année, deuxième Prix  au Concours International de la ville de Paris Maurice-André, Victoire de la révélation instrumentale de l’année aux Victoires du Jazz en 2006  etc . . .  soit une quinzaine de trophées glanés à travers le monde.

Depuis 2007, Ibrahim se consacre également à l’enseignement au CNR d’Aubervilliers-La Courneuve où il a succédé au pédagogue André Presles. Il est régulièrement invité pour donner des masters class, notamment aux USA où il se lie à l’Etat du Kansas et d’autres grandes universités américaines. Paradoxalement, il faut attendre 2009 pour voir Ibrahim présenter des compositions personnelles avec son premier groupe Farah. De couleur jazz oriental assez prononcée, cette formation verra une de ses prestations live diffusée sur plusieurs chaînes, mais ne sortira jamais d’album malgré des essais en studio.

En 2004, sa rencontre avec Lhasa de Sela lui ouvre les portes de l’Electro. Il collabore alors avec de nombreux chanteurs rock ou pop, ce qui lui permet de s’éloigner de l’univers jazzy ou classique dans lequel il était en train de s’enfermer. C’est peu à peu que Ibrahim Maalouf se redirige vers un univers plus actuel et après  de nombreux essais infructueux en termes de production, il va rencontrer la chance en la personne d’Alejandra Norambuena Skira (du fonds d’action Sacem) qui le présentera au producteur Jean-Louis Perrier. Celui-ci l’aide à monter le groupe avec lequel Ibrahim ira à la conquête du New Morning le 12 février 2006. Ce concert révèle un artiste hors du commun et l’installera définitivement au firmament du jazz mondial. Maalouf continue sur sa lancée et sort « Diaporamas » en 2007, album qu’il a produit, composé et réalisé avec l’aide de François Lalonde (percussionniste et co-réalisateur du dernier album de Lhasa de Sela) et d’Alex Mc Mahon, un musicien d’ électro qu’on ne présente plus. Maalouf considère cet album comme un livre, car « s’il ne peut écrire un livre en une demi-heure, il peut réciter des poèmes dans le même temps ». Preuve de la trans- culturalité qui caractérise Ibrahim depuis qu’il a été arraché de sa terre natale, cet opus qui verra la participation de trente musiciens, rassemble des influences et des atmosphères très diverses puisque Ibrahim Maalouf enregistre la plupart des musiques à  Beyrouth ou Montréal, termine l’enregistrement et le mixage à Paris tandis que le mastering sera fait à New-York.

Un vrai marathon qui aura duré trois ans, mais qui n’auront pas été un gâchis au vu de la qualité de la livraison. Tout le background accumulé par ce travailleur acharné qu’est Maalouf trouve enfin un champ d’expression dans des plages comme « Beyrouth », un hommage déchirant à sa ville natale et dans lequel on ne peut s’empêcher de percevoir le style alerte et agressif d’un Miles Davis. Plus loin, on repense forcément au Weather Report du regretté Jaco Pastorius quand on écoute « Ya Ha Ha ». Ibrahim y étale toute sa virtuosité, tandis que « Shadows » est un sommet de sensualité lyrique dans lequel il montre son ouverture au monde tout en restant enraciné dans sa culture d’origine. Car rassembler tous les peuples avec la musique, tel est le dessein de Maalouf pour que jamais ne se reproduisent des conflits comme celui qui a fait de lui un exilé. ZACK BADJI

Illustration: dessin aquarellé de Régine Coudol-Fougerouse

 

 

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