DUGGY TEE



Duggy Tee a dans le regard et la voix cette sérénité que seuls possèdent ceux qui ont  beaucoup vécu. Et pourtant, il n’a pas atteint l’âge de raison, mais a dû apprendre vite comme l’impose souvent une célébrité précoce. Des coups, Duggy en a pris, mais comme un boxeur sonné au fond du ring, il se remet sur ses jambes et retourne inlassablement au combat. Son âme de guerrier, il la tient certainement de son histoire qui commence au Sénégal où il naît un jour de mai 1971.

Fils d’un steward de la défunte compagnie Air Afrique et d’une mère commerçante, Duggy connaît une enfance plutôt heureuse au milieu d’une fratrie où la camaraderie est une religion. Son père gâte Amadou et ses frères tout en leur transmettant le sens du respect et du travail bien fait, mais aussi l’amour de la musique. Vrai connaisseur de jazz et de soul music, il leur ramène au gré de ses voyages toutes  les nouveautés musicales, ce qui permet au jeune Amadou Barry qui deviendra plus tard Duggy Tee, de se forger une véritable culture musicale dans un Dakar qui bruisse d’un son balbutiant qui a pour nom le rap et vibre au rythme de ce que l’on nomme alors les matinées-disco. Des milliers de jeunes, dont Duggy, se retrouvent dans des fêtes où l’on s’affronte à coups de rimes ou de pas de break dance, du nom de cette danse acrobatique qui vient des States et qui donne des sueurs froides aux parents car les figures du break dance sont périlleuses et les fractures nombreuses. Cependant, Duggy suit une scolarité normale et il est même bon élève car le gamin a l’esprit vif, aime lire, se met même à l’écriture et commence à imiter ses héros que sont Public Enemy, Gang Starr ou African Baambata, les précurseurs historiques du rap. Tout va donc pour le mieux jusqu’à ce jour terrible où le père de Duggy disparaît des suites d’une maladie qui l’emporte au bout de quelques jours. Le choc est terrible, mais la famille se serre les coudes et surmonte l’épreuve. Duggy reprend le dessus sur la douleur, se fait le devoir de  continuer ses études et s’inscrit au collège Yalla Sur En de Dakar. Nous sommes alors en 1988 et Duggy a l’âge de passer le baccalauréat, mais là aussi, une nouvelle tuile lui tombe sur la tête. En effet, du fait d’une situation politique instable née des élections mouvementées de février, le gouvernement décide d’invalider l’année scolaire. Les élèves et étudiants sénégalais sortent dans la rue et manifestent leur colère, cassent les bus et saccagent des bâtiments publics pendant les mois de ce que l’on peut nommer « le mai 68 sénégalais ». Mais Duggy n’aime pas la violence et préfère s’inscrire en « Masters de hip-hop » comme il aime à le dire. En 89, il fonde son premier groupe « Kings MC’s » avec un cousin Aménophis et se produit régulièrement au Sahel », une des boîtes branchées de Dakar. De l’autre côté de la ville, un autre groupe connu sous le nom de « Syndicate » et mené par un certain Didier Awadi veut aussi se faire une place au soleil. Comme c’est de coutume dans le microcosme du hip-hop, c’est la battle assurée quand les deux « possee »(groupes de rap) se rencontrent et c’est même parfois l’animosité entre leurs membres. Mais au bout d’un an, la rivalité fait place à l’amitié car Didier et Duggy découvrent qu’il partagent la même vision panafricaniste et ont les mêmes références idéologiques qui ont pour noms Luther King, Nelson Mandela Patrice Lumumba ou Thomas Sankara.

En août 1989, Duggy et Awadi fondent Positive Black Soul qu’on peut traduire par « esprit positif de l’Afrique ». Le choix de ce nom résulte d’une volonté de donner une idée plus progressiste de l’Afrique et de combattre le cliché qui faisait du rap un mouvement violent, aux antipodes des préoccupations du continent noir. « On était très « pro black » et le noir était toujours associé à quelque chose de négatif et cela nous dérangeait de voir l’afro-pessimisme gangrener l’Afrique », explique Duggy. Leur premier album qu’ils baptisent « Boul Falé », un concept que Duggy rapproche de »Don ‘t Worry, Be Happy) paraît en 1994 et propulse le Positive Black Soul sur le devant de la scène, car plus que la musique c’est son message que s’approprient les jeunes du Sénégal. L’album ouvre une brèche pour toute une génération de rappeurs »Galsen »(sénégalais) qui voient dans l’avènement de Duggy et Awadi, l’occasion de se faire entendre. Le Pbs encourage les jeunes à aller de l’avant et à ne pas baisser les bras face aux obstacles qui ne manquent pas au lendemain du traumatisme de l’année blanche. Plus pertinent, le Pbs prône le retour aux sources à un moment où la majorité des jeunes singent les Américains, un enracinement qui se matérialise dans la musique du groupe qui fait de l’utilisation des instruments traditionnels Africains (riti, djembé, kora, flûte peule) une marque de fabrique qui séduit le monde entier. Les succès et les tournées s’enchaînent au point où le Pbs devient même producteur : « Beaucoup de groupes se sont fait connaître grâce aux compils Sénérap 1 et 2 que produisait le Pbs », témoigne DJ Alla, du studio Youkoungkoung dans la banlieue dakaroise.  Mais le conte de fées prend brutalement fin en 2002 quand Duggy et Awadi se séparent après douze ans de lutte commune et neuf albums. Les raisons de ce clash restent troubles même si les deux protagonistes affirment dans les médias qu’ils se sont séparés car ils avaient à l’époque des « orientations artistiques différentes ».

Dj Awadi entame alors une carrière solo et Duggy se met en retrait de la scène musicale pour « s’occuper de sa famille »( sa fille, Bébé Coudi vient de naître). C’est le silence jusqu’en 2003 où Duggy revient sur la scène, mais faute de promotion, l’album qui sort alors ne fait pas un tabac, mais a le mérite de remettre le pied du « King » à l’étrier au grand soulagement de ses fans. C’est en 2005 que se fait le vrai retour avec la sortie de « Ngëm »( la foi en wolof) qui montre que Duggy n’est pas mort artistiquement puisque l’album est sacré « album de l’année 2005 » au Sénégal. Dans « Ngëm », Duggy prône les valeurs humaines et encourage les Sénégalais « à construire quelque chose ». En octobre 2011, six ans après son dernier opus, Duggy est de retour dans les bacs avec son album « Fit »(le courage), deuxième volet de ce qui se veut une trilogie entamée avec « Ngëm » en 2005 et qui devrait s’achever avec « Jom »(l’honneur) déjà en gestation, comme pour rappeler les vertus fondamentales de la culture sénégalaise. Mais le nouvel album est surtout l’esquisse d’une nouvelle direction musicale où Duggy, sans cracher sur le rap, fait admirer ses immenses capacités vocales dans une approche plus composite où se côtoient reggae, soul et musique traditionnelle. Le message lui, reste le même à travers les 23 titres de l’album :le respect de soi et de l’autre, comme un ciment à même de  fédérer les cultures du monde entier. Tout le monde est prévenu: the king is back !(le roi est de retour).   Zack Badji

Illustration: aquarelle de Régine Coudol-Fougerouse

 



 

 

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