BEATLES

De Liverpool à Abbey Road, la naissance d’une légende

 

Hambourg, Août 1960. Quatre jeunes musiciens se défoncent sur la scène de l’Indra Club. Ils viennent d’Angleterre, plus précisément de Liverpool et s’appellent Paul Mc Cartney, John Lennon,  Pete Best et Stuart Sutcliffe. Ils se font tour à tour appeler The Beatles, Long John and the Silver Beatles, Silver Beats avant de se fixer sur le nom-bateau  de Beatles quand ils décrochent leur premier contrat sérieux en Allemagne. Cette appellation fait référence au groupe accompagnant Buddy Holly, The Crickets et au film « l’Equipée Sauvage » avec Marlon Brando , où il est question d’un gang du nom de Beetles(«  scarabées »). Il fait aussi référence au rythme(beat) du rock n’roll naissant également appelé beat music.

Les membres fondateurs des Beatles, John Lennon et Paul Mc Cartney s’étaient rencontrés trois ans plus tôt, plus précisément le 6 juillet 1957 à Woolton, dans la banlieue de Liverplool, en Angleterre. John Lennon qui a alors 16 ans et son groupe de skiffle donnent un concert pour la fête paroissiale de l’église St Peter. A la fin de la prestation, Ivan Vaughan, un ami commun, présente Paul à John. Mc Cartney(15 ans) prend alors une guitare et joue parfaitement « Twenty Flight Rock » de Cochran devant un John Lennon très impressionné. Les deux futurs « Fab Four » se revoient plusieurs fois les jours suivants, et le courant passe à merveille entre eux pour deux raisons essentielles.

Autodidactes, ils aiment Elvis Presley, mais également le blues de Chuck Berry, Buddy Holly, Little Richard et bien d’autres. John Lennon et Paul Mc Cartney partagent également un drame qui les rapproche :Paul a perdu sa mère Mary emportée par un cancer du sein en 1956, tandis que la mère de John, Julia, meurt happée par une voiture conduite par un policier ivre. Cette communauté apparente de destins les rapprochent indéniablement et semble être le moteur de cette machine nommée Beatles et qui va déferler sur le monde quelques années plus tard.

En février 1958, sur l’insistance de Paul, et malgré les réticences de John qui le trouve trop jeune, George Harrison intègre le groupe comme guitariste solo au sein d’une formation à trois guitaristes qui se fait  appeler The Rainbows ou Johnny and The Moondogs selon l’humeur du jour. La formation de Paul et John se produit dans les clubs de Liverpool comme le Casbah que dirige Mona Best, la mère de leur futur bassiste Pete Best. que les Beatles engagent cinq jours avant de partir pour l’Allemagne, mais surtout au Jaracanda, un coffee-shop dirigé par Allan Williams qui joue le rôle de manager à ses heures perdues. C’est Williams qui déniche aux  Beatles leur premier contrat sérieux à Hambourg auprès de Bruno Kosschmider, propriétaire de l’Indra Club et du Kaisekeller, des établissements situés dans le « quartier chaud » de Sankt Pauli à Hambourg.

Le 22 août 1960, le groupe composé de John Lennon, Paul Mc Cartney, Pete Best, et complété par Stuart Sutcliffe qui officie en tant que bassiste depuis le début de l’année s’embarque pour l’Allemagne. Ce dernier, copain de John Lennon a pu rejoindre le groupe tout simplement parce qu’il était en mesure d’acheter une guitare avec l’argent d’une toile qu’il vient  de vendre (il est un artiste- peintre prometteur). Mais il y a un problème, car si Sutcliffe a une basse, il ne sait pas en jouer et se produit dos au public pour que la supercherie ne soit pas découverte et comble du ridicule, il « joue » même parfois sans que son instrument soit branché à un ampli! Le problème se corse quand Sutcliffe tombe amoureux de la belle Astrid Kirchherr (qui rentrera dans l’Histoire pour avoir pris des clichés des Beatles restés célèbres) et décide de rester en Allemagne où il mourra d’une congestion cérébrale le 10 avril 1962 à l’âge de 21 ans.

Le séjour allemand est plus qu’éprouvant car les Beatles doivent élargir leur répertoire, sont logés dans des appartements presque insalubres et sont obligés d’avoir recours aux amphétamines pour tenir le coup. Mais les Beatles n’en regrettent pas pour autant leurs cinq séjours allemands, et évoquant cette période des débuts, John Lennon dira : « J’ai grandi à Hambourg, pas à  Liverpool » et d’ailleurs nostalgique de cette période « punk », John Lennon explique dans le disque Anthology 1 : « Nous étions des performers, nous jouions du straight rock(pur rock) dans les salles de Hambourg et de Liverpool et ce que nous produisions était fantastique, mais malheureusement, tout cela n’a jamais éte enregistré ».  C’est aussi à Hambourg que les Beatles décrochent leur premier contrat d’enregistrement chez Polydor,en tant qu’accompagnateurs du chanteur et guitariste Tony Sheridan sur le 45 tours « My Bonnie ».

A leur retour en Angleterre, les Beatles ont acquis la maturité qui leur manquait, techniquement d’abord, sur scène ensuite et ce sont des Beatles radicalement transformés que les nombreux clients du Cavern Club, un café souterrain de Liverpool découvrent après les derniers séjours à Hambourg. Ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à John et sa bande car depuis plusieurs jours, un certain Brian Epstein ne rate aucune des prestations des Beatles. Disquaire à l’origine, Epstein n’a jamais managé une formation musicale, mais connaît quelques ficelles du business de la musique. Il va devenir leur mentor et  propose de les propulser au rang de musiciens professionnels. Mais pour cela, il pose des conditions. Les Beatles vont devoir renoncer à leurs cuirs qui leur donnaient une allure de sauvages et les troquer contre des complets-vestons comme cela est de coutume à l’époque. Ils devront aussi se couper les cheveux en bol (une de leurs futurs caractéristiques inventée par Astrid Kirchherr et John Lennon ) et surtout, les Beatles vont devoir apprendre la ponctualité et abandonner les amphétamines.

Ses conditions acceptées non sans difficultés, Brian Epstein se met en quête de producteurs pour faire signer un contrat d’enregistrement à ses poulains. Mais la tâche est rude et les échecs nombreux auprès des maisons de disques qui ne croient pas un instant que les quatre garçons qu’encense Brian Epstein du matin au soir sont les futurs stars de la pop mondiale. Un échec chez Decca restera d’ailleurs célèbre. Les Beatles y sont auditionnés le 1er janvier 1962, enregistrent 15 titres en une heure, mais au bout de leur marathon, la sentence de Dick Rowe, directeur artistique chez Decca sonne comme une condamnation à l’encontre de Brian et de ses troupes : « rentrez chez vous à Liverpool, M. Epstein, les groupes à guitare vont bientôt disparaître », leur dit-il. C’est la douche froide, mais Epstein n’est pas homme à se décourager, et continue d’assiéger les maisons de disques. Finalement, seul George Martin, alors producteur chez Parlophone , une division d’EMI, va croire dans les chances des Beatles. Début mai 1962, Epstein lui fait écouter  les bandes enregistrées chez Decca, et rendez-vous est pris pour des auditions dans les studios d’EMI qui se trouvent à Abbey Road.

Le 6 juin 1962, quatre jours après leur retour de Hambourg où ils viennent d’honorer un engagement au Star Club, les Beatles arrivent aux studios d’EMI au 3, Abbey Road, dans le quartier londonien de St John’s Wood qui deviendra légendaire au fur et à mesure que les Beatles monteront en puissance. L’audition se passe bien et George Martin décide de signer les Beatles, suivant en cela cette intuition qui le rendra immortel pour avoir découvert le plus célèbre ensemble musical de l’histoire de la musique. Mais Martin n’aime pas le style de Pete Best et décide de le remplacer par Ringo Star, un batteur  que le groupe avait rencontré quelques mois plus tôt à Hambourg. Les Beatles ne se font pas prier pour contenter Martin, mais c’est la manière qui va générer des bisbilles entre Pete et ses copains. En effet, ce ne sont pas Paul, John et George qui annoncent son éviction à Best, mais c’et Brian Epstein qui transmet la douloureuse nouvelle au batteur originel des Beatles. Une décision qui ne sera pas sans conséquences puisque les fans de Pete n’entendent pas en rester là et ne ratent aucune occasion de faire part de leur amertume. George Harrison explique : « On avait joué au Cavern Club et les gens hurlaient « Pete est le meilleur, Ringo jamais, Pete toujours ! » C’était devenu lassant, et je me suis à les engueuler. Après le concert, on est sorti des loges, on est entré dans un tunnel noir, et il y a quelqu’un qui m’a balancé un coup de poing dans le visage et je me sui sretrouvé avec un œil au beurre noir. Qu’est qu’il ne fallait pas faire pour Ringo ! ». Les 4 et 11 septembre 1962, les Beatles enregistrent leur premier single »Love Me Do » chez Parlophone et c’est Paul Mc Cartney qui remplace Sutciffle (resté à Hambourg ) devant le manque d’enthousiasme des deux autres guitaristes, John Lennon et George Harrison qui refusent de jouer de la basse.

L’avènement de la Beatlemania

Le 5 octobre 1962, sort « Love Me Do » qui n’atteint que la dix-septième place au classement britannique,et même si ce n’est pas encore le nirvana, mais l’accuil favorable des radios est plus qu’encourageant. Le deuxième 45 tours « Please Please Me » malgré des paroles quelque peu osées pour l’époque (« tu n’as pas besoin que je te montre comment faire,petite ») est propulsé au premier rang ce qui donne aux Beatles l’opportunité de commettre un album complet intitulé « Please Please Me » qui sort le 22 mars 1963 et squatte la tête du hit-parade pendant sept mois. Partie de Liverpool (où les Beatles  continuent de chauffer le Cavern Club), ce que l’on nomme désormais la Beatlemania envahit tout le Royaume-Uni que les Fab Four investissent, y effectuant quatre tournées pour la seule année 1962. La bande à John aligne les succès : »From Me to You » en avril, « She Loves You » en août sont classés numéro 1 au hit-parade, tandis que le fameux « Yeah, Yeah Yeah ! » rend les Beatles célèbres dans toute l’Europe. Les disquaires sont dévalisés, les jeunes filles en transe et les embouteillages monstrueux là où passent les Beatles.

Le 4 novembre 1963, la consécration est totale quand les Beatles se produisent devant la famille royale au Prince of Wales Theatre de Londres pour le Royal Command Performance même si la soirée est un peu ternie par ce qui sera l’une des premières incartades verbales dont John Lennon a le secret et qui contribueront à asseoir sa légende de mauvais garçon, avant d’en faire le porte-drapeau de la révolte contre le conservatisme de la vieille société anglaise . En effet, devant toute l’Angleterre médusée et la reine herself qui faillit en laisser choir sa couronne, John Lennon, irrévérencieux comme il n’est pas permis, déclare avant de chanter « Twist and Shout » : « Pour notre prochain titre, est-ce que les gens aux places les moins chères peuvent frapper dans les mains ? Et tous les autres, agitez vos bijoux ! ».

Mais l’Angleterre pardonne vite à ses nouveaux fiancés qui continuent de caracoler en tête des hit-parades où « Please, Please Me » n’est remplacé à la première place que par le deuxième album du groupe, « With The Beatles » , publié le 22 novembre 1963. Ces deux albums non sans avoir subi divers liftings comme le raccourcissement de la liste des chansons, la modification de l’ordre des pistes ou l’ajout de la stéréo, de l’écho et bien sûr, une nouvelle pochette. Dans un premier temps, les maisons de disques réservent un accueil plus que glacial aux Beatles et affichent leur mépris, pensant que la Beatlemania n’est qu’un effet de mode. Mais elles vont vite se rendre compte de leur erreur quand le cinquième album des kids de Liverpool, « « I Want to Hold Your Hand » est  numéro 1 sur le marché US et y reste du 1er février au 14 mars 1964. Il ne sera détrôné que par un autre titre des Beatles, « She Loves You », suivi de « Can’t Buy Me Love ». Ce n’est pas tout : le 31 mars, le classement du célèbre Billboard Hot 100 aux Etats-Unis fait apparaître cinq titres des Beatles aux cinq premières places ! La « beatlemania » venait de traverser l’Atlantique pour se propager dans le monde entier.

Amérique, nous voilà !  

Le vieux monde à leurs pieds, comme en attestent leurs derniers passages à l’Olympia de Paris où ils jouent devant des milliers de personnes à raison de trois  concerts par jour du 16 janvier au 4 février 1964, les Beatles vont s’atteler à conquérir les Usa. Une tâche d’un autre calibre, mais John et ses gars sont confiants à la vue de la foule qui les attend à l’aéroport JFK de New-York le 7 février 1964. Lorsqu’ils se posent sur le tarrmac en provenance de Londres où des centaines de supporters étaient venus leur dire goodbye, 3000 fans hystériques les attendent au point où il faudra plusieurs heures aux Beatles pour sortir de l’aéroport.

Deux jours  plus tard, un événement d’une ampleur sans précédent va secouer l’Amérique. Plus de 70 millions de personnes encore traumatisées par l’assassinat de Kennedy, (soit 45% de la population, audience qui reste l’une des plus élevées de l’Histoire) assistent en direct à leur première prestation télévisée sur CBS, lors du Ed Sullivan Show en direct de Miami. Le 11 février, c’est au tour du Coliseum de Washington d’accueillir les « Fab Four » (« les quatre fabuleux ») dans des conditions techniques difficiles avec une sono défectueuse et une scène pivotante à laquelle les kids de Liverpool ne sont pas habitués.

Le lendemain, c’est le Carnegie Hall qui chavire de bonheur au son de « Want To Hold Your Hand », avant que les Beatles ne reviennent clore leur séjour américain au Ed Sullivan Show. L’histoire d’amour entre l’Amérique où les Beatles enchaînent les n°1 trouve un point d’orgue le 15 août 1965. Ce jour -là, ils sont le premier groupe de rock à se produire dans un stade, le Shea Stadium de New-York, devant 56000 fans déchaînés et dans des conditions un peu particulières étant donné l’immensité de l’arène. En effet, les Beatles se produisent seulement munis de leurs amplis Vox et sont repris par les hauts-parleurs qu’utilisent les speakers pendant les matchs de base-ball. Il en résulte que ni eux ni le public n’entendent clairement une note de cette prestation historique.

Les « Fab Four » venaient de poser le premier jalon de ce que l’on nommera la British Invasion, terme utilisé aux Usa pour décrire la prédominance des groupes de rock anglais comme les Stones ou les Who. D’ailleurs, lesBeatles détiennent toujours un record absolu avec 176 millions d’albums vendus sur le seul territoire américain. « La musique n’a jamais été la même depuis lors » affirme la RIAA(Recording Industry Association of America). Pressés de toutes parts, littéralement poussés vers les studios alors même qu’ils sont en tournée, les Beatles sortent dans la foulée , le 4 décembre 1964, « Beatles For Sale »(Les Beatles à Vendre), un titre plus qu’évocateur de leur nouveau rythme de travail.

Dans cet album, les Beatles se contentent de reprendre leur répertoire scénique du moment en y incluant quelques nouvelles chansons comme « Eight Days A Week », « I’m A Looser » ou une très ancienne création comme « I’ll Follow The Sun ». Au même moment, le titre « I Feel Fine » de Lennon, publié en single le 24 septembre 1964 est au top des charts cinq semaines durant. Ce titre est fondateur du rock moderne car il démarre par un « feedback » de guitare ou effet Larsen, le premier du genre et que l’on pourrait croire accidentel, alors que cet effet sonore est totalement délibéré de la part de Lennon. Un brin irrité par les déclarations de certains critiques qui prétendent que la découverte du »feedback » est non seulement un hasard, mais qu’il existait avant, Lennon leur répond ceci : »Je défie quiconque de trouver la présence d’un « feedback sur un disque avant « Ifeel Fine », à moins que ce ne soit un vieux disque de blues de 1922 ».

Les Beatles sont aussi le premier groupe à vraiment faire le pont entre le cinéma et la musique puisque leur troisième album sert de bande originale de « A Day’s Night »),( Quatre Garçons dans Le Vent  en français), un faux documentaire humoristique réalisé en noir et blanc par  Richard Lester en juillet 1964. A l’occasion de cet album, Lennon affirme définitivement sa prépondérance sur le groupe puisqu’il réussit un tour de force en composant et en chantant dix des treize titres de l’album. La carrière cinématographique des « Fab Four » s’enrichit quand en 1965 les Beatles sortent le film « Help » dans la foulée de l’album du même nom qui compte des chansons qui vont entrer dans la légende. « Help » d’abord, où pour la première fois, John Lennon  dévoile son mal-être et appelle au secours. Le succès ne lui apporte aucun réconfort et de son propre aveu, il est dépressif et boulimique comme le fut Elvis Presley dans sa « période gros ».

Cet opus comporte d’autres perles comme « Ticket To Ride » considéré par Lennon comme le titre précurseur du hard rock avec ses guitares rugissantes, ses roulements de batterie et sa basse obsédante. Puis, last, but not least, l’immense « Yesterday » que Paul Mc Cartney compose sous le titre de travail de « Scrambled Eggs » en  demandant à son entourage si elle est vraiment de lui, tant la mélodie paraît évidente. Plus de quarante ans après, Paul mesure encore sa chance d’avoir rêvé de cette chanson, de s’en être souvenu à son réveil, et qu’elle ait eu autant de succès. En  effet, « Yesterday » est la chanson la plus reprise et la plus diffusée du vingtième siècle avec près de 3000 reprises.

« Rubber Soul » ou la seconde naissance des Beatles

Un soir d’avril 1965, un ami dentiste de George Harrison et John Lennon charge leur café avec une substance pas encore illicite, le LSD. Les Beatles font donc connaissance avec cette drogue sans l’avoir voulu et d’une façon générale, leur musique va évoluer d’une certaine manière puisque selon les propos de Lennon, « le LSD a ouvert des portes de leur âme qu’ils croyaient ne pas exister ». En automne 1965, ils enregistrent un album charnière dans leur carrière : »Rubber Soul », jeu de mots à partir de rubber sole (semelle en caoutchouc , soul music (la musique de l’âme) et plastic soul (âme influençable). Les paroles deviennent plus introspectives, plus philosophiques et la présence de Bob Dylan apporte plus de gravité au message des Beatles. « C’est à cette époque que nous avons pris le pouvoir dans les studios », note Lennon. La musique devient plus élaborée, les techniques d’enregistrement aussi, et l’immense liberté dont ils disposent leur permet de tenter des expériences qui vont permettre à la musique de passer à une autre ère. En effet, les Beatles s’intéressent à toutes les musiques, à toutes sortes d’instruments comme le sitar et pour résumer l’état d’esprit du groupe, Ringo a une phrase qui est restée célèbre : »On aurait pu emmener un éléphant dans le studio pour peu qu’il produise un son intéressant ». Tout un programme .  .   .« Rubber Soul » traduit une rupture par rapport à « la trame quatre périodes » typiques des premières chansons des Beatles : un couplet, un autre couplet, un moment d’instrumental ou un pont, une reprise du second couplet. Les Beatles ne veulent pas d’une musique prévisible et entendent ne plus être considérés comme un boys band, mais comme de vrais musiciens dont l’art s’adresserait à toutes les générations. Rupture encore : la quatrième chanson de « Rubber Soul »(Nowhere Man) est la première chanson des Beatles ne parlant pas d’amour. Rupture toujours : il n’y a pas de reprise d’un quelconque standard, et il n’y en aura plus jamais. Autre grande innovation : l’utilisation du sitar par Harrison sur « Norvegian Wood » de John Lennon va offrir une nouvelle perspective à des musiciens comme Brian Jones et donner naissance à ce que l’on appelle de nos jours le rock indé.

L’album « Rubber Soul » est aussi un tournant car du point de vue technique, les Beatles, par leur soif de découvertes vont donner au monde des innovations qui vont changer la face de la musique pour toujours. En effet, jusqu’alors, le chanteur principal devait se prêter au fastidieux procédé dit du double tracking, qui consiste à faire doubler systématiquement sa voix. Sur l’insistance de Lennon que cela ennuie prodigieusement, un des ingénieurs du son des studios d’EMI nommé Ken Townsend invente bientôt l’automatic double tracking en connectant deux magnétophones qui se renvoient le signal enregistré. Il venait d’inventer un système qui jusqu’à aujourd’hui permet aux artistes de gagner un temps inestimable, tout en obtenant un son plus pointu.

A l’été 1966, l’album suivant des Beatles, « Revolver », sorti le 5 août en Angleterre est de la même veine. John Lennon est dans une forme olympique, Paul Mc Cartney s’affirme en mélodiste patenté, George Harrison stratosphérique avec son sitar indien comme sur « Love You To », tandis que Ringo ne s’en laisse pas compter comme en atteste son tube « Yellow Submarine ». Bref les Beatles semblent intouchables même si de l’autre côté de l’Atlantique émergent deux autres groupes :les Rolling Stones de Mick Jagger et surtout les Pet Shop Boys qui opposent des qualités d’harmonies vocales et de recherches mélodiques en mesure de contester la suprématie de Lennon et Cie. A tel point que les Beatles eux-mêmes ont reconnu s’être inspirés de l’album « Pet Sounds » conçu par Brian Wilson pour écrire « Revolver » et on s’accorde généralement à dater la naissance de la « pop » de cette saine émulation entre les Beatles et les Pet Shop Boys. Le grain de sable qui va quelque peu gripper la machine viendra de là où on ne l’attendait pas.

« Plus populaires que Jésus »

En mars 1966, alors que les Beatles sont au sommet de leur gloire, John Lennon accorde au London Evening Standard une interview intitulée « Comment vit un Beatle ? ». John Lennon y déclare ceci : « Le christianisme disparaîtra. Il s’évaporera, décroîtra. Je n’ai pas à discuter là-dessus. J’ai raison, il sera prouvé que j’ai raison. Nous sommes plus populaires que Jésus, désormais. Je ne sais pas ce qui  disparaîtra en premier, le rock ou le christianisme ». Dans un premier temps, les propos de Johnnie passent totalement inaperçus au Royaume-Uni, mais c’est de l’Alabama(Usa) que va venir la tempête quelques mois plus tard quand les propos de Lennon sont repris, amplifiés et déformés sur une station de radio de cette région qu’on nomme « la Bible Belt ».

L’animateur suggère que les disques des Beatles soient brûlés en représailles à ces paroles jugées blasphématoires. Des propos suivis d’effet quelques heures plus tard quand les habitants les plus extrémistes de la « Bible Belt » vont dresser un bûcher pour mettre le feu aux disques des Beatles.  Ni les tentatives désespérées de Mc Cartney pour éteindre le feu de la critique, pas moins que les justifications tardives de Lennon ne parviendront à apaiser la colère de l’Amérique puritaine. Le mal était profond, et rien ne serait plus comme avant.

Quelques semaines plus tard, les Beatles sont à Manille, aux Philippines et passent tout près d’un véritable lynchage pour avoir snobé à leur arrivée une réception donnée la veille de leur concert par la redoutable Imelda Marcos, épouse du dictateur Ferdinand Marcos. Le groupe répondra qu’il n’avait reçu aucune invitation, ce qui n’empêchera pas la presse de se déchaîner et les Philippines d’envoyer des menaces de mort.

Toute protection policière est retirée aux Beatles lorsqu’ils repartent, une foule hostile les attend à l’aéroport, ils sont pris à partie, parviennent à leur avion qui va rester bloqué sur le tarmac le temps que leur manager Brian Epstein se fasse délester de la recette de leurs deux concerts devant une audience de 80000 personnes. Les Beatles ont peur mais il leur reste des dates estivales à honorer aux Etats-Unis. Inutile de dire que les Beatles sont attendus de pied ferme après la tempête provoquée par les propos de Lennon à propos du christianisme et ils reçoivent des menaces très précises de la part du Ku Klux Klan dès leur arrivée aux Usa. La sécurité dans les stades est minimale et la dernière date de cette tournée, le lundi 29 août au Candlestick Park de San Francisco est symptomatique de l’atmosphère du moment. Dans un stade plutôt hostile, les Beatles manifestement pressés d’en finir, interprètent onze titres en 35 minutes sur une scène entourée de grillages, au milieu d’une pelouse où la police chasse du fan déchaîné et plient bagages dès la fin du concert.

Le traumatisme est profond et dès leur retour à Londres, les Beatles annoncent la nouvelle que craignaient tous les fans : le concert de Candlestick Park sera le dernier des Beatles. « C’était trop, toutes ces émeutes et ces ouragans. La « Beatlemania » avait prélevé sa dîme, la célébrité et le succès ne nous excitaient plus », se remémorera George Harrison quelques années plus tard. C’est la première fissure dans la carrière des Beatles au point où Lennon s’exclame « Mais qu’est-ce que je vais faire maintenant ? », tandis que Ringo déclare à qui veut l’entendre qu’il n’est plus un Beatle.

Le retour à Abbey Road et la mort de Brian Epstein

A la fin de l’année 1966, les Beatles ne quittent plus les studios d’Emi à Abbey Road. Finis les tournées et les costumes uniformes, les Beatles entrent dans ce que l’on définit de comme « la période studio des « Fab Four ». Pour redonner un nouveau souffle au groupe, Mac Cartney lance in projet qui consiste à envoyer une autre formation, imaginaire, en tournée à leur place. C’est la naissance du « Club des Coeurs Solitaires du Sergent Poivre ». Les Beatles veulent tenter tout ce qui est artistiquement possible. Ils s’amusent à lancer des bandes de musique à terre  et à les recoller au hasard, à passer des morceaux à l’envers (comme sur la chanson « Rain) », à mixer des instruments de toutes sortes. Le résultat de leurs expériences est livré le 1er juin 1967 : c’est l’album « Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band » qui est considéré par beaucoup comme un chef-d’œuvre et qui sera reconnu comme la meilleure œuvre rock de tous les temps.

L’album fait date dans l’histoire de la musique pop rock puisque jamais, un groupe n’avait disposé d’autant de temps, de moyens et de liberté pour enregistrer un disque. La pochette est en elle -même un tournant car c’est la première fois qu’autant de soin est apporté au conditionnement d’un disque. Les paroles de chansons y sont incluses pour la première fois aussi et à partir de «Sergent’s Pepper », la conception de la pochette devient un élément-clé (à la fois marketing » et artistique) de la production d’un disque. Le 25 juin 1967, les Beatles sont de nouveau à l’origine d’une autre première quand ils se produisent devant plus de 400 millions de téléspectateurs du monde entier à l’occasion de la première émission diffusée par satellite, « Our World ». En direct du studio 1 d’Abbey Road, ils interprètent une chanson spécialement composée par Lennon pour l’occasion : « All You Need Is Love ».

Le triomphe est total, puisque le 45 tours publié le 7 juillet s’installe directement à la première place des charts et y reste trois semaines.  Tout semble aller pour le mieux et ceux qui s’inquiétaient ont la certitude que les doutes qui pesaient sur l’avenir  des Beatles se sont totalement dissipés après le triomphe de « All You Need Is Love ». Mais c’est un décor en trompe-l’œil car depuis « Sergent Pepper’s » dont il n’a composé que quatre morceaux qu’il rejettera d’ailleurs plus tard, Lennon  a conscience d’avoir cédé du terrain sur le plan créatif, et que sa concurrence avec Mc Cartney, qui somme toute, était le moteur des Beatles avait tourné à son désavantage.  George Martin, le génial découvreur et premier producteur des Beatles utilisera  plus tard une formule qui résume bien la relation Lennon-Mc Cartney : « C’est le processus de la cocotte-minute qui a fait d’eux de grands compositeurs. Ils ont appris très, très vite et ils se sont motivés mutuellement En fait, c’était une compétition constante. Car, il s’agissait pour eux d’atteindre la perfection ».

En plus, Lennon est désormais dépressif, sous emprise totale du LSD qui le transforme peu en peu en  zombie et il se désintéresse peu à peu de la musique. Et last, but not least, il est tombé amoureux de Yoko Ono, une obscure artiste japonaise qui semble être le centre de sa vie et il cherche vainement le moyen de dire à sa femme Cynthia qu’il ne l’aime plus. La saine concurrence qui opposait Paul à John aux débuts de l’aventure s’était muée en une guerre fratricide qui se révéla totalement quand les deux hommes se livrèrent une bataille acharnée pour l’obtention de la face A du dernier single que les Beatles allaient publier chez Capitol. Alors que Paul demandait qu’on optât pour son « Lady Madonna », John proposa « Across The Universe ». Le titre de Paul fut finalement choisi, provoquant le courroux de John. Pire, il en vint même à accuser Paul de saboter les sessions d’enregistrement quand les harmonies vocales qu’il avait proposées sur sa chanson furent rejetées.

Parallèlement, le jugement de John à l’égard du travail de Paul vire au dénigrement, allant jusqu’à qualifier le travail  de Paul Mc Cartney de « musique de grand-mère ».  Mais le pire est à venir. En plein « Summer of Love » sur fond de « Sergent Pepper », Brian Epstein est retrouvé mort dans sa baignoire, à 32 ans, suite à une overdose de barbituriques. Les Beatles apprennent sa mort de retour d’un séminaire de d’initiation à la méditation avec leur guru, Maharashi MaheshYogi à Bangor, au Pays de Galles, où chacun s’est vu délivrer un mantra.  Ce 27 août 1967 est un jour noir pour les Beatles car  la mort de Brian Epstein qui jusque- là était parvenu à faire cohabiter les égos, va révéler le mal-être de Ringo, les doutes de George Harisson et surtout ce qui semble un clash inévitable entre Lennon et Mc Cartney..

L’année 1967 se termine par l’éreintement critique de leur film, « Magical History Tour » , considéré à sa sortie comme le véritable premier échec des Beatles, même si la bande-son contient de véritables perles comme le très sémillant « I Am the Walrus » de Lennon et le très inspiré « The Fool On The Hill » de Paul Mc Cartney. Aux tracas d’ordre artistique, vont s’ajouter des problèmes d’ordre financier à cause d’une nouvelle loi sur la fortune édictée par le gouvernement. En effet, les Beatles désormais orphelins de Brian Epstein qui jusque là jonglait avec le fisc, apprennent que leur capital peut-être soit investi dans la création d’une entreprise, soit dilapidé en impôts divers. Ils choisissent sans hésiter la première solution et créent leur compagnie, Apple Corps, dont le nom et le logo proviennent d’un célèbre tableau de Magritte acquis par Paul. Apple Corps est créée le 19 avril 1967 et ses locaux ouvrent le 22 janvier 1968.

En plus de gérer les finances et d’organiser les activités des Beatles, la compagnie est censée apporter de l’aide à tout artiste dans le monde qui voudrait lancer un projet de valeur. Durant les deux premières années d’existence, le bilan d’Apple Corps est plus que mitigé puisque les Beatles perdent des milliers d’euros en faisant des investissements plus que contestables dans la mode, notamment en soutenant de jeunes stylistes comme « Magic Alex », alias Alex Mardas.

Mais on essaie d’évacuer le malaise et pour se changer les idées, les Beatles  choisissent de partir avec leurs amis et épouses dans le nord de l’Inde, à Rishikesh, rejoindre le Maharishi Malesh Yogi qui veut leur prodiguer son enseignement pour que les Beatles approfondissent leur connaissance de la méditation transcendantale. Du 3 au 11 février 1968, avant de partir pour l’Inde, ils entrent en studio pour enregistrer quatre titres dont « Lady Madonna » écrit par Paul Mc Cartney qui se place tout de suite numéro 1 au Royaume-Uni. Mi-février, c’est le grand départ. Les Beatles intègrent l’ashram de Mahesh Yogi pour un séjour plus que prolifique puisqu’une quarantaine de chansons sont composées sur place, qui constitueront la quasi-totalité de leur prochain album, et jusqu’à leurs disques solo après la séparation des Beatles. Avec des années de recul, chacun des Beatles soulignera tout le bien que leur a fait cette expérience, ce repos spirituel loin de la folie qui les entourait, et tout ce qu’ils en ont retiré. Sur le moment en revanche, leurs réactions sont mitigées et vont jusqu’au terrible ressentiment de Lennon. Cet épisode a ouvert , du jour au lendemain, l’Occident à la méditation, au yoga et la philosophie orientale, quasiment inconnus auparavant.                         

L’Album blanc ou les prémisses de la séparation

Cet hiver -là, Lennon se rapproche de l’artiste d’avant –garde japonaise Yoko Ono à qui il écrivait déjà quand ils étaient en Inde, malgré la présence de son épouse Cynthia. « J’ai rencontré Yoko bien avant de partir pour l’Inde, j’ai eu beaucoup de temps là-bas pour réfléchir. Je suis rentré à la maison et je suis tombé amoureux de Yoko. Cela a mis un point final à tout ça. Et c’est magnifique », raconte Lennon. A son retour, le fondateur des Beatles consomme son amour avec Yoko, délaissant sa femme et son fils Julian qui n’a que cinq ans. Ils ne reverront pratiquement plus John Lennon. En mai, les Beatles entrent en studio pour enregistrer le double album blanc, dont le titre est tout simplement « Les Beatles », à partir de titres composés en Inde comme « Dear Prudence » et « Julia » de Lennon. Ces sessions à Abbey Road sont tendues, la présence de Yoko auprès de John perturbe ses camarades. Car Yoko n’hésite pas à faire valoir ses opinions sur les chansons et les prestations des Beatles, tout en admettant qu’elle ne connaissait rien au rock. Le comble du ridicule est atteint lorsque Yoko malade, demande qu’on installe son lit dans le studio !

Evidemment, l’ambiance est lourde et chacun enregistre séparément en utilisant les autres comme des « musiciens de studio » pour ses propres compositions. D’ailleurs avant de mettre  sur bande « Back in The U.S.S.R » qui ouvre l’album, Ringo Starr  se met en congé du groupe. Les autres continuent sans lui et Paul se met à la batterie sur « Back in The U.S.S.R » mais aussi sur « Dear Prudence », pendant que George Harisson s’occupe de la basse, habituellement tenue par Mc Cartney. Ce qu’en dit Ringo témoigne de l’atmosphère qui régnait lors des sessions : « Je suis parti parce que j’ai l’impression de ne pas être aimé , d’être exclu. Je suis allé voir John et je lui ai dit : « Je quitte le groupe parce que je ne joue pas bien et vous trois, vous êtes tellement liés! ». John m’a répondu : « Je croyais que c’était vous trois qui étiez très liés! ». Je suis allé voir Paul qui m’a répondu la même chose et je n’ai pas pris la peine d’aller voir George. J’ai pris les gosses et je suis parti pour la Sardaigne.».

Lorsque Ringo revient d’Italie, il trouve sa batterie couverte de fleurs dans le studio d’Abbey Road. La tension accumulée depuis l’été et l’automne 68 retombe brusquement d’autant plus que Geoge Harisson a invité Eric Clapton à jouer de la guitare sur son titre « When My Guitar Gently Weeps ». Publié le 22 novembre 1968, le « White Album » se révèle une grande réussite et connaît un immense succès commercial. Le public est cependant décontenancé par le titre « Revolution 9 », un long collage expérimental sonore de neuf minutes , réalisé par John et Yoko. Le producteur George Martin et les trois autres Beatles supplient John de retirer ce morceau, mais ce dernier refuse. Lennon et Yoko vont faire encore plus fort en publiant le même mois leur propre album, « Two Virgins », enregistré en mai 1968 le soir où ils consommèrent leur amour pour la première fois et tous deux apparaissent nus sur la pochette.

Le projet Get Back  

Le 2 janvier 1969, les Beatles lancent un nouveau projet sous la houlette de Mc Cartney. Il s’agit de filmer et d’enregistrer des répétitions pour aboutir à une prestation publique, revenir aux origines, jouer « live » comme un vrai groupe de rock. Mais que faire du résultat final ? Un futur show télévisé ? Montrer des répétitions avant un concert ? Les Beatles divergent sur les tenants et les aboutissants de ce projet. Les tensions accumulées lors des sessions de l’Album Blanc renaissent dans les froids studios de Twickenham où les Beatles doivent travailler à des heures matinales. La présence constante de Yoko Ono qui veut donner son avis sur tout exaspère, tandis que le « dirigisme » de Paul met les nerfs de ses copains à vif.

Devant des caméras qui filment en continu, les Beatles jouent de tout et de rien, font le bœuf, jouent mal et sans conviction. John Lennon montre son désintérêt de manière flagrante, tandis que George Harisson paraît de plus en plus excédé et personne n’est vraiment surpris quand il claque la porte le 12 janvier, même s’il revient douze jours plus tard. Son ressentiment et sa frustration de rester à l’ombre du tandem Lennon/Mc Cartney qui lui refusent des chansons qu’il aimerait faire paraître sur les disques, apparaissent maintenant au grand jour.

Les évènements de ce mois de janvier figureront, un an plus tard, dans le film Let It Be. On y voit Harisson interpeller Paul Mc Cartney : »Ok, bon, je m’en fous. Je jouerai ce que tu veux ou je ne jouerai pas du tout si tu ne veux pas que je joue. Je jouerai tout ce qui te fera plaisir. Manifestement insatisfaits de leur travail à Twickenham, les Beatles rangent les kilomètres de bandes dans un placard et c’est seulement le 4 mars 1969 qu’ils appellent l’ingénieur du son Glys Johns pour mixer un album à partir des bandes existantes. Johns compile alors plusieurs chansons enregistrées « live » en studio et sur le toit d’Apple Corps, mais les Beatles rejettent son travail. De ce magma de bandes, il ne restera que le single »Get Back/Don’t Let Me Down » publié le 11 avril 1969. Une chanson dont le seul titre exhale des parfums d’adieux.

Abbey Road ou l’ultime chef-d’œuvre

Avec l’idée de ne pas rester sur l’échec du projet « Get Back », Mc Cartney décide de contacter George Martin, le producteur historique des Beatles, l’homme sans qui le monde n’aurait peut-être jamais connu les « Fab Four ». Paul lui  propose de faire un disque « comme avant », mais Martin est sceptique car il est au courant des bisbilles entre Lennon et Mc Cartney. Mais Paul le rassure vite et Martin donne son aval pour ce qui semble être la tentative de la dernière chance pour sauver la face. Les Beatles se réunissent dans les studios EMI d’Abbey Road durant les deux mois de l’été 69, bien décidés à mettre de côté leurs dissensions pour tirer dans le même sens et « sortir sur une note élevée ».

Le matériel de ce baroud d’honneur provient essentiellement d’une collection de chansons composées en Inde et répétées en janvier 1969 pour le projet « Get Back ». Les Beatles ne réfléchissent pas longtemps pour trouver un titre à cet album: il s’appellera « Abbey Road ». Car quoi de plus simple que de donner à leur ultime œuvre commune, le nom de la rue-ils se font photographier sur le passage piéton, le 8 août pour la pochette du disque- où sont situés les studios où tout a commencé et au sein desquels ils ont enregistré l’immense majorité de leurs chansons depuis sept ans ? C’est le premier et dernier album entièrement réalisé en huit pistes et également le premier dans l’histoire du rock où l’on entend du synthé, un Moog, en l’occurrence, acquis par George Harrison auprès de son créateur, le génial Robert Moog. Les harmonies vocales qui avaient fait la célébrité des Beatles sont de retour pour l’occasion et  les « Fab Four » atteignent des sommets en matière de polyphonie sur « Because »où les trois voix de Paul, John et George se superposent trois fois dans une poignante harmonie à neuf voix qui jusqu’à aujourd’hui, donne encore la chair de poule.

Les titres d’« Abbey Road »  évoquent les tracas et les frustrations du moment, d’argent que l’on ne parvient pas à obtenir, de dettes, de négociations juridiques (« You never Give Me Money », de Mc Cartney), de marteau d’argent qui s’abat sur la tête des gens dès que les choses vont mieux (« Carry That Weight »), de retour du soleil après un hiver long et froid (« Here Comes The Sun » de George Harisson). Le 20 août 1969, les Beatles complètent l’enregistrement du titre de John Lennon « I want You » : c’est la dernière fois que les quatre Beatles seront réunis dans un studio. Même si cette ultime collaboration est « heureuse » aux dires des acteurs, le plaisir de jouer ensemble s’est évanoui et les Beatles disent ici, pour de bon, adieu aux Beatles.

« La mort de Paul » et la séparation des Beatles   

Mc Cartney est, par ailleurs, au même moment, l’objet d’une incroyable rumeur qui veut qu’il ait été tué dans un accident de voiture en novembre 1966 et remplacé par un sosie. Pour les partisans de cette thèse farfelue, plusieurs indices tendent à démontrer qu’ils ont raison et la pochette d’ »Abbey Road » est le point de départ de ces élucubrations. En effet, on y voit Paul traverser la rue pieds nus « comme les morts que l’on enterre en Inde ». Ensuite, la Volswagen blanche que l’on voit sur la pochette est immatriculée «LMW 28 IF »que les tenants de la thèse de la mort de Mc Cartney traduisent par « Living-Mc Cartney-Was 28 years old-If »(Mc Cartney aurait eu 28 ans s’il était vivant »), ce qui est inexact puisque Paul avait 27 ans quand « Abbey Road » est sorti) ou encore, « il tient sa cigarette de la main droite alors qu’il est gaucher ».  .   .

Bref le canular, comme le tintamarre médiatique sont énormes. Paul Mc Cartney finit par prendre l’affaire en mains pour apporter un cinglant démenti, mais rien n’a pu éteidre définitivement la rumeur. Aujourd’hui encore, des négationnistes  tentent de faire perdurer le mythe du sosie, malgré le fait que Paul ait été anobli par la reine d’Angleterre en 2007. Quarante ans après, on trouve même des dossiers sur Internet dont les auteurs proposent des analyses photographiques pour étayer la mort de Paul. Une fois les sessions du disque « Abbey Road » terminées, et alors que le single «Something/Come Together » va occuper partout la tête des hit-parades, John Lennon, de retour d’un concert avec son nouveau groupe, le Plastic Ono Band, annonce aux autres Beatles qu’il quitte définitivement le groupe lors d’une réunion chez Apple, le 20 septembre 1969, en réponse à Mc Cartney, qui dans une ultime relance, propose de repartir en tournée dans des petites salles.

Les Beatles conviennent qu’il faut garder la nouvelle secrète, compte tenu des enjeux commerciaux (renégociation des contrats avec EMI et Capitol Records). Et pour ne rien arranger, Les Beatles se disputent sévèrement à propos du nom de leur nouveau manager, entre Allan Klein, soutenu par Lennon, Harisson et Starr, et Lee Eastman, avocat, père de Linda, la femme de Paul. Finalement, c’est Klein qui sera le dernier manager des Beatles. Pour couronner le tout, ils perdent la propriété de  leur catalogue de chansons. Nothern Songs était en effet détenu à 51%, soit la majorité des parts, par Brian Epstein (l’ex manager des Beatles) à travers sa société NEMS. Sa famille, une fois Epstein disparu, et leur éditeur Dick James, administrateur de Nothern Songs depuis les débuts en 1963, décident  de vendre à ATV en 1969, sans que les Beatles ne puissent rien faire.

C’est ce catalogue détenu par ATV que Michael Jackson rachètera pour 47,5 millions de dollars en 1985. La toute dernière session d’enregistrement des Beatles se déroule en l’absence définitive de Lennon. Elle a lieu les 3 et 4 janvier 1970 avec le titre de George Harisson « I Me Mine ». Quatre mois d’oisiveté s’écouleront, avant que la séparation ne soit rendue publique. Paul, lui, a estimé qu’il était juste d’intenter fin décembre 70 un procès à ses trois camarades , afin de mettre un terme définitif à l’entité juridique Beatles et surtout dans son esprit, empêcher Klein, toujours manager du groupe, de faire main basse sur l’argent qui continuait de couler à flots.

« J’ai ressenti une grande culpabilité à cause de ça. Mais dites moi ce que vous auriez fait si tout ce que vous aviez gagné, soit la totalité des revenus des Beatles, était sur le point de disparaître ? Le gars dont je parle (Harry Klein) a empoché 5 millions de livres pour sa première année en tant que manager. Il devenait donc clair que je devais attaquer les Beatles car Klein n’était pas partie prenante des accords que Lennon, Ringo, George Harisson et moi avions signés ». De son côté, Lennon règle ses comptes avec Paul dans l’album « Imagine », avec le titre « How Do You Sleep »(« Comment peux-tu dormir ? » où il dit à propos de son ex-ami : »Ces maboules avaient raison de dire que tu étais mort ».

Curieusement, lorsqu’il s’agira pour Paul et John de déterminer qui a fait quoi sur plus de 200 titres cosignés Lennon/Mac Cartney, il se montreront globalement d’accord, à de très rares exceptions comme « In My Life ». La dissolution juridique du groupe sera finalement prononcée en 1975 malgré les tapis de dollars que certains promoteurs sont prêts à dérouler pour que les « Fab Four » reviennent. En février 1976,six années après leur séparation, un promoteur pop de Los Angeles, Bill Sargent, leur propose , pour un seul concert de vingt minutes retransmis à travers le monde, la somme de 50 millions de dollars. Les Beatles refusent.

Sept mois plus tard, le 20 septembre 1976, un autre promoteur, Sid Bernstein, leur offre publiquement 230 millions pour un concert de charité, mais là aussi, les Beatles opposent un niet catégorique. Plus jamais par la suite, un artiste ne se verra proposer une telle somme pour un seul concert. « Nous avons beaucoup discuté et nous nous sommes mis d’accord sur le fait que la boucle était bouclée et qu’il y aurait quelque chose de pas juste là – dedans », explique Paul Mc Cartney. Si « discussions » il y a eu, ce dont doutent certains, un  drame y met un terme définitif quand Lennon est assassiné à 40 ans, le 8 décembre 1980  par Mark David Chapman , un déséquilibré à qui il avait signé un autographe quelques heures plu tôt, au pied de son appartement du Dakota Building à New-York.

Quant à George Harisson, le plus jeune des Beatles, il décède à Los Angeles d’un cancer généralisé en 2001 à l’âge de 58 ans. Prisonniers d’un monde qu’ils avaient eux-mêmes bâti, les Beatles n’ont jamais trouvé la liberté qui fut depuis leurs débuts, l’objet de leur quête existentielle. Même si le monde entier a regretté leur séparation, il est évident qu’elle était devenue inévitable tant les facteurs qui y concourraient étaient  multiples et anciens. Quoi qu’il en soit, les Beatles auront définitivement changé le visage du show-biz en l’espace d’une carrière qui ne fut pas si longue que ça. Tous les codes de la musique moderne tant en termes de marketing, d’innovations techniques et musicales, sont le fait des Beatles. En  un mot, ils ont simplement réinventé la musique. Zack Badji   

Illustration: dessin Régine Coudol-Fougerouse

 

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